Jack VANCE
LE BÉLIAL'
320pp - 19,00 €
Critique parue en septembre 2003 dans Bifrost HS2 : Les univers de Jack Vance
Concocté par le maître d'œuvre du présent Bifrost, Croisades présente quatre novellas — trois rééditions de textes traduits chez nous dans les années 70 et un inédit. Le volume s'ouvre sur un récit tout à fait atypique de Jack Vance, « La Grande Bamboche » (1973), une histoire d'univers parallèles ambitieuse mais desservie par une certaine confusion — peut-être était-ce inhérent au thème — , et à laquelle il manque sans doute une véritable chute pour entraîner l'adhésion du lecteur. Un récit vraiment curieux, qui en surprendra plus d'un. Avec « Les œuvres de Dodkin » (1958), c'est plutôt du côté de Kafka que lorgne Vance lorsqu'il décrit un monde futur stratifié et bureaucratique, où l'absurdité règne en maîtresse. Parti à la recherche de l'origine d'une directive qu'il juge stupide — et le lecteur avec lui — , un personnage plus ou moins individualiste et asocial appartenant à l'une des couches les plus basses de cette société va non seulement découvrir certains vices et subtilités du système, mais aussi et surtout y trouver enfin sa place lors d'une excellente chute finale. Ironique, sarcastique et diaboliquement efficace, c'est à mon goût le meilleur texte du recueil. « Les faiseurs de miracles » (1958) décrit l'un de ces mondes coloniaux que Vance affectionne. Cette fois, tout repose sur l'affrontement en diverses factions constituées des descendants d'armées venues s'échouer des siècles plus tôt sur une planète dont les nouveaux venus ont repoussé les autochtones dans les forêts. De belles scènes de bataille servies par un humour grinçant, un peuple extraterrestre à l'esprit bien tordu comme il faut, une savoureuse inversion des valeurs entre la science et la magie, le tout conduisant à un retournement final tout à fait réjouissant. Du pur bonheur. Quant à l'inédit, « Les maîtres de Maxus » (1951), il traite d'esclavage et de vengeance, deux thèmes qui reviendront souvent dans les œuvres ultérieures de Vance, préfigurant plus ou moins la Geste des Princes-démons ou les Chroniques de Durdane. On y trouve aussi un de ces portraits de cynique absolu comme Vance sait si bien les dessiner. Bien qu'il soit le plus ancien du volume et que sa narration soit un peu légère — notamment dans la description des cultures rencontrées, souvent fragmentaire — , voilà un texte qui n'a pas pris une ride. Et c'est d'ailleurs le compliment que l'on peut faire à l'ensemble de cet excellent recueil.