Jonas Lenn est l’alter ego de l’écrivain Emmanuel Levilain-Clément. Sous ces deux signatures, l’auteur a publié jusqu’à présent quelques romans (essentiellement chez La Clef d’argent et, pour la jeunesse, Mango), un recueil chez Griffe d’encre et de nombreuses nouvelles dans différentes revues et anthologies. La Clef d’argent nous propose un nouveau recueil de textes de science-fiction repris de ces derniers supports (sans aucun inédit, ce qui est un peu dommage). Six textes au menu, donc, dont on tirera sans peine deux points communs : l’attachement à la terre et à l’être humain, notamment la cellule familiale.
L’attachement à la terre, tout d’abord, car Lenn la met en scène dans tous ses récits. Dé-laissant les habituelles zones défrichées par la SF (l’espace, les autres planètes, des lieux de haute technologie), l’auteur prend comme décor ce qu’il connaît visiblement le mieux, à savoir la terre normande, quelque part entre le Mont Saint-Michel, à l’ouest, et l’Île de France, à l’est. Il en fait même parfois l’un des protagonistes, comme dans « Adieux à Genêts » — Genêts, soit une petite commune de la baie du Mont-Saint-Michel qu’un couple de personnes âgées décédées a reconstituée pour lui servir de réceptacle à souvenirs dans sa deuxième vie, virtuelle, que viennent visiter les membres de leur famille. Le rapport à la terre le plus évident concerne « Crop circles », qui met en scène un fermier au langage des plus terroir en butte à un chat chapardeur, mais aussi à ces fameuses formes bizarres apparaissant dans les champs et qu’on attribue aux extraterrestres. Amour de la campagne, toujours, dans le premier récit, « Un écrivain dans le pré », dont les atours de texte fantastique des premières pages se révéleront trompeurs… Cette omniprésence de la campagne, du terroir, n’est pas sans évoquer Clifford D. Simak, toutefois Lenn, du fait de son ancrage géographique privilégié en Normandie, exprime une voix toute personnelle empreinte d’humilité et de quiétude.
L’autre point commun, on l’a dit, concerne l’être humain, essentiellement à travers la figure de la cellule familiale. Cela transparaît notamment dans « Adieux à Genêts », déjà mentionné, et dans « Au jardin de mon père », où un homme est convié par son père mourant dans un univers virtuel afin qu’il lui transmette tout ce qu’il sait de l’histoire familiale. Riches en termes d’émotion (ils sont tous les deux motivés par un drame), ces textes se répondent et se complètent, sans malgré tout éviter une certaine redite. Héritage également avec « D’une vie l’autre », dans lequel la réincarnation est avérée et où chacun doit connaître sa vie précédente — une nouvelle qui tranche avec le reste du livre, car elle prend pour cadre New York. De par sa chute un tantinet téléphonée, elle s’avère en être d’ailleurs le texte le moins abouti. Trois récits, donc, qui traitent de la transmission, qu’il s’agisse du savoir ou des souvenirs, et qui rejoignent en définitive la première thématique abordée, la campagne étant un vecteur naturel de la perpétuation des traditions. Avant-dernier texte au sommaire, « La Ferme enchantée » permet d’ailleurs de lier les deux thématiques, alors qu’un duo d’experts d’une société spécialisée dans les Organismes Génétiquement Améliorés enquête an sein d’une ferme sur d’éventuelles fraudes et se trouve confronté à une manière de transmettre certaines idées assez originale…
Si ces deux centres d’intérêt, marqués, ne l’empêchent pas d’aborder des thématiques modernes (réalité virtuelle, expérimentations génétiques, guerre atomique…), Lenn ne pousse jamais très loin leur traitement : cette science-fiction-là sert avant tout à donner leur coloration aux textes, qui parlent encore et toujours des sujets chers à l’auteur. Crop Circles se révèle ainsi une bonne entrée en matière dans l’univers de Jonas Lenn/ Emmanuel Levilain-Clément, qui aborde la SF via un prisme personnel et sensible, un amour des racines, que celles-ci soient fermement ancrées dans la terre ou dans l’histoire familiale.