Ramez Naam reprend l’intrigue là où il l’avait laissée dans le très remarqué Nexus. Dans ce premier tome, seules quelques personnes s’étaient augmentées pour atteindre au posthumanisme ; dans Crux, le phénomène se généralise. Et cela ne va pas sans poser quelques soucis : un attentat contre le président des États-Unis, via une personne soumise par le biais de Nexus, échoue de peu grâce à l’intervention de Kade, l’inventeur de la drogue. Il réussit à contrecarrer le plan des terroristes via la porte dérobée développée dans Nexus, que seuls lui et ses amis développeurs connaissent et maîtrisent. C’est le point de départ d’une évolution importante de la société, dont certains courants de pensée vont prendre de l’ampleur suite aux événements : il y a ceux qui pensent que le Nexus représente un réel danger, car il permet des moyens de coercition inconnus jusque-là ; il y a les terroristes, prêts à promouvoir la nouvelle drogue par la force ; et il y a tous ceux qui voient en Nexus un formidable moyen de faire accéder l’espèce humaine à un autre stade de son évolution, voire de redéfinir la notion même d’espèce humaine. Le roman se conçoit alors comme un déploiement global de ces théories, qui vont s’affronter par le biais des personnages croisés dans le premier opus : Kade, mais aussi Sam, qui veille désormais sur des enfants Nexus, Martin Holtzmann, de l’ERD, l’agence qui combat le Nexus, même si Holtzmann est à titre personnel en train d’évoluer, ou encore Su-Yong Shu, la scientifique chinoise, désormais sans enveloppe corporelle si ce n’est les circuits d’un ordinateur… L’un des reproches qu’on avait pu faire au premier tome était lié au fait que Naam ne donnait guère la parole aux détracteurs du posthumanisme, ce qui aurait permis une confrontation d’idées plus enrichissante. C’est toujours le cas ici : Naam est un ardent défenseur de l’évolution de l’Homme, son roman en est entièrement imprégné, même s’il montre que la plus belle des inventions, placée dans des mains malveillantes (ou inconscientes, comme Shiva Prasad, personnage ambigu d’une grande richesse), peut donner des résultats atroces.
Crux adopte la même forme que Nexus : celle d’un thriller sans réel temps mort, très visuel et dont les révélations sont savamment distillées, et qui aborde en outre des problématiques environnementales. En somme un vrai page-turner – il n’en fallait pas moins, car le roman pèse tout de même ses 630 pages, que Naam aurait sans doute pu condenser sans que cela représente une perte pour le lecteur. Le principal écueil de Crux tient sans doute au fait que, dans ce récit, Naam fait évoluer son intrigue sur une échelle plus globale, privilégiant l’aspect narratif par rapport au développement des avancées technologiques. Nexus avait ceci de fascinant que Naam nous présentait ces évolutions de manière assez précise tout au long du roman sans nuire au rythme de son histoire. Dans Crux, finalement, la technologie n’évolue plus : une fois les principes de la porte dérobée dévoilés, il utilise celle-ci de manière quasi systématique pour déployer son intrigue jusqu’au bout. La littérature de SF est autant une littérature d’images que d’idées, et ces dernières sont clairement reléguées au second plan dans Crux. S’il se révèle diablement efficace, ce deuxième tome reste donc un ton en dessous du premier. Mais quelques indices (à commencer par la prise de conscience de Kade quant aux dangers relatifs à l’utilisation de la drogue qu’il a inventée) laissent à penser que l’on pourrait assister à un retour des idées au premier plan dans Apex, le dernier tome de la trilogie, sorti l’an dernier aux États-Unis.