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Les critiques de Bifrost

Crysis: Legion

Peter WATTS
PENGUIN

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Au sein de la bibliographie de Peter Watts se cache une anomalie. À côté de la trilogie « Rifteurs » et de «  Blindopraxia » se trouve Crysis: Legion, roman officiel du jeu vidéo Crysis 2… Une novélisation de jeu vidéo ? Drôle d’idée. À première vue, cela semble un moyen comme un autre de payer ses impôts et la bouffe pour les chats et le lapin… mais pour qui a décidé de lire toute la bibliographie de Peter Watts, ce Crysis: Legion s’avère bien moins inintéressant et impersonnel qu’il ne le paraît à première vue.

Crysis premier du nom, jeu de FPS développé par Cryotek et sorti en 2007, raconte comment, en 2020, des archéologues américains découvrent un vaisseau extraterrestre enfoui dans le sol d’une île d’un archipel fictif au large de la Corée. À son bord, une engeance du genre « pas glop » : les Ceph — comme céphalopodes, vu qu’ils ont la trogne de vilains aliens poulpoïdes. Le joueur se glisse dans la peau d’un soldat ; de la baston s’ensuit.

Au vu du succès du jeu, une suite et sa novélisation ont été mise en chantier ; l’un et l’autre sont sortis en mars 2011. Nous voici trois ans plus tard à New York, nouvelle cible des Ceph. À bord d’un sous-marin, le marine Alcatraz est envoyé avec son escouade pour récupérer Nathan Gould, un scientifique. Pas de chance, le submersible est coulé et Alcatraz ne doit sa survie qu’à Prophet, un soldat au rôle prépondérant dans le premier opus du jeu. Prophet lui ayant donné sa nano-combinaison suréquipée, Alcatraz se retrouve à affronter non seulement les Ceph, mais également des mercenaires, les CELLulites (sérieux). Le joueur lecteur se glisse dans la peau d’un soldat ; de la baston s’ensuit.

Sur le strict plan de l’intrigue et des personnages, Crysis: Legion n’a guère d’intérêt. Les protagonistes sont relativement unidimensionnels et le scénario colle de près à celui du jeu, avec un déroulé linéaire. Alcatraz avance, fuit, butte des ennemis, tandis que ses supérieurs complotent, et recommence. Dire que c’est répétitif est un euphémisme, en dépit de l’ajout de documents (retranscriptions d’entretiens et de courriels) pour briser la monotonie et approfondir l’univers. Mais n’oubliez pas qu’on a là un roman de Peter Watts. Ce qui marque d’emblée, c’est le style : une écriture rentre-dedans, avec le sens de la formule qui tape et une appétence pour le jargon militaro-scientifique. Notre auteur se coule dans le moule sans difficulté, et l’écriture n’a rien ici d’utilitaire. Tant qu’à faire, Watts se permet aussi de se moquer des incohérences du jeu vidéo, des béances du scénario à la propre nature des aliens…

Surtout, il glisse çà et là ses thématiques favorites : l’élément marin, le désastre écologique en cours, des personnages salement amochés par la vie… La nano-combinaison d’Alcatraz rappelle (en mode surpuissant) celle de Lenie Clarke dans Starfish ; Alcatraz, à moitié mort, préfigure les zombies de « ZeroS ». Et là où on s’y attend le moins, Watts balance un paragraphe où il reprend, quasiment mot pour mot, les propos qu’il tient dans l’interview présente dans ce Bifrost au sujet du comportement de sa mère envers son père. Et le protagoniste de gagner en consistance. Un roman impersonnel, vraiment ?

En somme, avec Crysis: Legion, Peter Watts s’approprie le jeu vidéo éponyme et fait davantage que pondre une bête novélisation rédigée en mode automatique. L’amateur de Crysis devrait y trouver son compte, pour peu qu’il lise l’anglais. L’amateur de Watts, peut-être moins, sauf à être un fan complétiste de l’auteur – et gageons qu’il en existe quelques-uns.

Erwann PERCHOC

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