Troisième recueil de nouvelles de Ian McDonald, Cyberabad Days prend place dans l’Inde des années 2040 décrite dans Le Fleuve des dieux. Des sept nouvelles du recueil, cinq sont parues entre 2005 et 2008 au sommaire d’anthologies ou de magazines tels qu’Asimov’s. A la différence du Fleuve…, les histoires ne prennent pas exclusivement place à Vârânaci : le cadre s’élargit, et les nouvelles se déroulent avant ou après les événements narrés dans le roman. On retrouve des constantes, comme le conflit Awadh-Bhârat, les moussons irrégulières, le soap opera Town and Country, ou la signature des Lois Hamilton destinées à restreindre le niveau d’intelligence des aeais. Voyons cela de plus près.
La nouvelle qui introduit le recueil, « Sanjeev and Robotwal-lah », débute lors du conflit fratri-cide entre le Bhârat et l’Awadh. Sanjeev est un garçonnet fasciné par ces robots guerriers pilotés par un combo humain-aeai. Il se lie d’amitié avec les pilotes desdits robots, qui ne sont autres que des garçons à peine plus âgés et plus matures que lui. Mais que faire lorsque la guerre s’achève ?
Les conflits sont parfois à une échelle plus réduite, comme à celle de familles dans « The Dust Assassin ». La jeune Padmini Jodhra est une arme. C’est du moins ce que son père lui a toujours répété. A Jaïpur, les familles Jodhra et Azad co-détiennent le monopole de l’eau, et les deux sont ennemis jurés. Lorsque les Azads massacrent les Jodhras, Padmini demeure la seule survivante de sa famille. Et voilà que le dernier descendant des Azads la demande en mariage… Pad-mini refuse, son admirateur insiste.
Il est aussi question d’amour et de mariage dans « An Eligible Boy ». Dans un pays où l’on compte quatre hommes pour une femme, Jasbir veut à tout prix trouver chaussure à son pied. Pour cela, il est prêt à se faire re-faire le visage, et même à accepter un coach spécialisé — et qui est plus qualifié qu’une aeai issue d’un soap opera ?
Dans « The Djinn’s Wife », c’est par une aeai que la jeune Esha est séduite. Et pas n’importe quelle aeai : A. J. Rao, star du soap Town and Country. Mais l’amour d’Esha est exclusif, aussi comment aimer une entité capable d’être multiple ? Et que faire lorsque les Lois Hamilton, restreignant le niveau des aeais, sont sur le point d’être signées et que les flics Krishna bouillent d’impatience d’excommunier à tour de bras les intelligences artificielles illégales ?
Les autres nouvelles du recueil sont plus humaines. Dans « Kyle meets the river », un garçonnet vit dans une bulle dorée : le quartier sécurisé où il habite pour raisons de sécurité, son père étant un haut fonctionnaire affecté à la reconstruction du Bhârat. Ce qui n’est pas une mauvaise idée, car les attentats ne sont pas rares à Vârânaci. Kyle se lie cependant d’amitié avec un autre gamin, Salim, qui lui fait découvrir le monde virtuel Alterre et, plus important encore, les rues grouillantes de vie de Vârânaci.
« La Petite Déesse » est doublement la première nouvelle du recueil à avoir été publiée : en anglais dans Asimov’s et en français dans le présent numéro de Bifrost. Elle raconte l’histoire d’une enfant aux tendances schizophrènes, élevée au rang de déesse vivante au Népal. Du moins, jusqu’à sa puberté… Mais les artifices pour retarder l’horloge biologique sont repérés et l’enfant-déesse est répudiée. Elle va suivre une descente aux enfers, jusqu’à, peut-être, une forme de rédemption. L’un des meilleurs textes du recueil, avec « Vishnu at the cat circus ».
Ce dernier texte (novella qui occupe le dernier tiers de Cyberabad Days) s’intéresse à une caste tout juste évoquée dans Le Fleuve des dieux : les Brahmanes, ces humains génétiquement améliorés. Vishnu est l’un d’eux. Fleuron de sa génération, il est bientôt confronté aux perspectives d’une post-humanité.
Une thématique commune à tout le recueil est de prendre pour point de vue celui des enfants. Une démarche que poursuivra d’ailleurs Ian McDonald avec Planesrunner, destiné à un lectorat jeunesse. Ce qui ne veut pas dire que Cyberabad Days s’adresse à un tel public, bien au contraire. Plus accessible que Le Fleuve des dieux, ce recueil reste exigeant. Et de très haute tenue : le sommaire suit une progression logique, tant en termes de chronologie que de longueur et de qualité.
Livre-compagnon, Cyberabad Days peut former une excellente introduction au Fleuve des dieux à qui serait effrayé par l’épaisseur du roman, d’autant que sa lecture n’est pas forcément indispensable pour comprendre le recueil. Pour qui a lu Le Fleuve… et se sent d’attaque pour lire en VO les récits, ce recueil développe les thématiques du roman et en aborde de nouvelles, avec un accent particulier porté sur l’humain. Un ouvrage qui prouve une nouvelle fois que Ian McDonald excelle sur le format de la nouvelle et de la novella, et dont on attend avec impatience la traduction en français.