[Critique portant sur les deux volumes de l'intégrale.]
L’époque veut cela. Des ouvrages jadis disponibles en poche nous reviennent sous la forme de briseurs d’étagères, forts volumes qualifiés ou non d’intégrale et bien trop souvent dépourvus de tout paratexte. Le Cycle de Tiamat (The Snow Queen Cycle en Anglo-Saxonie) de Joan D. Vinge ne fait pas exception à la règle. Deux épais pavés reprenant les trois romans (dont l’un était coupé en trois) parus autrefois chez J’ai Lu. On serait bien en peine de trouver une quelconque plus-value à cette réédition, en dehors des illustrations de couverture de Alain Brion (on peut cependant regretter celles de Michael Whelan). Certes, on nous rétorquera à bon droit que l’opération consistait surtout à rendre disponible des ouvrages difficiles à trouver et parfois vendus très cher sur le marché de l’occasion. Mais alors, pourquoi ne pas avoir profité de l’occasion pour éditer le quatrième volume du cycle, toujours inédit dans l’Hexagone ? Bref, dans le doute, abstenons-nous d’émettre des hypothèses désagréables (pas le genre de la maison… hein ?) et concentrons-nous sur l’histoire.
Sur les vestiges d’un Empire galactique se déploie l’Hégémonie, vaste union de mondes humains. La technique du vol hyperspatial ayant été perdue lors de l’effondrement du Vieil Empire, les astronefs en sont réduits désormais à utiliser les perturbations quantiques provoquées par un trou noir pour « sauter » d’une planète à l’autre. Une technique périlleuse limitant de surcroît les destinations possibles.
Sur Tiamat, monde primitif et isolé orbitant autour de deux soleils, l’hiver est la saison de la renaissance. Cent cinquante années pendant lesquelles la Porte Noire laisse passer les Extramondiens et leurs merveilles technologiques. Une opulence n’étant pas du goût des Etésiens qui y voit comme une profanation de leurs croyances et superstitions, mais qui arrange bien les Hiverniens, en particulier Arienrhod, celle que l’on surnomme la Reine des Neiges. La reine monnaie son pouvoir sur les Etésiens grâce à l’eau de vie, une ressource ne se trouvant nulle part ailleurs dans l’univers. Ainsi, Tiamat subit-elle une double tutelle : celle d’Arienrhod, souveraine capricieuse et jalouse, et celle indirecte de l’Hégémonie. Heureusement, après l’hiver vient l’été. Le Changement tant attendu par les Etésiens, aussi inexorable que la rotation de Tiamat autour de ses étoiles. Et avec lui, la fin du règne d’Arienrhod, privée de l’aide des Extramondiens du fait de la trop grande proximité entre la Porte Noire et les soleils. A moins que la reine ne trouve un stratagème pour garder son pouvoir.
Par son ampleur, le cycle de Tiamat se rapproche des grandes fresques romanesques initiées par Marion Zimmer Bradley et Anne MacCaffrey. On ne peut en effet passer sous silence la parenté indéniable existant entre Ténébreuse, Pern et Tiamat. Une acception de la SF où l’argument technoscientifique se trouve repoussé en arrière-plan pour laisser place à la romance, aux passions humaines et à une forme de suspense intemporel, celui que l’on trouve dans les romans à l’eau de rose.
L’essentiel du cycle, si l’on excepte le roman Finismonde, se déroule sur la planète Tiamat, un monde barbare, périodiquement coupé du reste de l’univers, mais amené à connaître de grands changements grâce à l’action de quelques personnages-clés. Le contexte global est celui d’une redécouverte. Redécouverte par l’Hégémonie du savoir perdu du Vieil Empire et redécouverte par les hommes d’une certaine forme de sagesse, fondée sur l’équilibre harmonieux entre nature et science. Joan D. Vinge dévoile progressivement son univers via les points de vue d’une poignée de personnages, Etésiens, Hiverniens et Extramondiens, appelés à assumer leur destinée, leur devoir et leurs amours contrariés… Effectivement, l’auteure semble bien moins intéressée par la fiction spéculative que par les relations compliquées et un brin nunuches des divers protagonistes d’une histoire tendant à tirer un tantinet à la ligne. Pour tout dire, le récit est carrément interminable et l’on a envie plus d’une fois de coller des baffes aux personnages — métaphoriquement parlant — tant leur états d’âme finissent par agacer. Ajoutons là-dessus des caractères secondaires stéréotypés à gros traits, dignes de figurer dans des novelisations Starwars (on me souffle dans l’oreillette que Joan D. Vinge a écrit celle du Retour du Jedi). Bref, on s’ennuie beaucoup, ne trouvant qu’un intérêt vacillant pour la description de Tiamat, de la cité d’Escarboucle et des mœurs et coutumes des Etésiens. Du sous-Ursula Le Guin, en quelque sorte. On saute les pages, le regard attiré par les rares passages vraiment science-fictif. Le virus divinatoire faisant des personnes contaminées des terminaux biologiques aptes à se connecter sur une base de données cachée. L’eau de vie tirée du cadavre des Ondins, ces créatures génétiquement modifiées vivant dans les océans de Tiamat. Le plasma astropropulseur… Toutefois, cela reste maigre. Le cœur de cible n’est manifestement pas là.
Au final, le Cycle de Tiamat ne laisse pas un souvenir impérissable. Le genre de lecture distrayante, sans plus. A condition de supporter les chichis sentimentaux. Une œuvre qui aurait gagné à suivre une sérieuse cure d’amaigrissement tant les développements oiseux finissent par lasser. Les fans de romanesque apprécieront. Nous, on passe.