Éric HOLSTEIN
MNÉMOS
350pp - 19,50 €
Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63
Second roman d’Eric Holstein, D’or et d’émeraude confirme tout le bien qu’on pensait de l’auteur. Avec cette uchronie bien fichue et totalement assumée, on sent que la machine est désormais lancée. Eric Holstein déroule son histoire sans trembler et s’offre le luxe de modifier totalement la perception qu’on avait de ses précédents travaux. Exit les vampires du premier roman, exit le style dont on avait remarqué les partis-pris, exit à peu près tout, place à quelque chose de différent. Preuve que l’auteur sait se renouveler et emmener ses lecteurs dans des directions inattendues. Malgré ses trois parties distinctes qui fleurent parfois l’artifice, D’or et d’émeraude donne dans le vrai. Eric Holstein s’y livre sans doute un peu plus qu’ailleurs et réinvente l’histoire colombienne avec un talent manifeste. En France, on sait bien peu de choses sur ce pays sud-américain, hormis les éternels clichés concernant la drogue, la violence et les Farc. A ce titre, la première partie du roman nous offre une vision bien plus réaliste que la lecture d’un quelconque article de journal. On y suit l’arrivée de Simon dans son pays natal, dont il ignore tout. Colombien adopté encore nourrisson par un couple de français, il a grandi en région parisienne, ne parle pas espagnol et ne s’intéresse pas particulièrement à ses origines. C’est d’ailleurs presque à reculons qu’il se décide enfin à franchir l’Atlantique, pour faire plaisir à ses parents, en quelque sorte. Et voilà ce post-ado qui débarque à « La Casa », l’orphelinat par lequel il est passé. De là, on suit son itinéraire à Bogota, ses rencontres, ses histoires d’amour, ses beuveries, jusqu’à ce que l’étrange Benino le contacte pour lui présenter son père. Son vrai père. Surpris, réticent, mais finalement curieux, Simon accepte et découvre enfin ce géniteur envers lequel il n’éprouve rien. Le courant passe, pourtant, et Simon finit par participer à une cérémonie indigène censée lui en apprendre un peu plus sur son statut d’indien. La magie opère, et le voilà propulsé… ailleurs. Fin de la première partie.
La suite délaisse la modernité et s’intéresse à la figure de Quesada, sans doute le moins célèbre des conquistadors, en pleine conquête de ce qui n’est pas encore la Colombie. Eric Holstein donne la pleine mesure de son talent dans cette centaine de pages impeccablement racontée. On avance difficilement dans la jungle aux côtés des explorateurs fatigués, sales, hirsutes et malades, on découvre les indigènes et les tueries subséquentes, bref, on participe à l’aventure. Une aventure assez ambiguë, d’ailleurs, dans la mesure où le manichéisme n’est pas de mise. Pourriture affirmée ou humaniste raté, Quesada s’impose comme un homme attachant, certes pétri de doutes et d’obsessions glauques, mais étonnamment vivant et humain. On sait ce qu’il advint de sa première expédition, et c’est là où Eric Holstein fait dévier l’histoire, la grande comme la petite. Car ici, la conquista est un désastre. Les indigènes savent se battre, menés par un chef aussi étrange que charismatique dont on devine assez vite la véritable nature. Pour les conquistadors, c’est la fin. Mais encore une fois, rien n’est simple. Et plutôt que d’exterminer les envahisseurs et de se lancer dans une guerre forcément longue et destructrice avec l’Espagne, les futurs « Colombiens » organisent une sorte de coexistence pacifique avec le royaume. Un accord à la fois réalisable et lucratif pour tout le monde. De quoi ouvrir la voie vers un monde radicalement différent.
Ne reste plus qu’à lire la troisième partie du roman, qui nous replonge en 2010, dans une Colombie souveraine, un continent jamais morcelé et un monde finalement prospère dont les enjeux géopolitiques n’ont rien à voir avec le nôtre. On y retrouve le personnage de Benino, une version différente, en quelque sorte. Et on devine assez vite ce qui s’est passé.
On l’a dit, la construction du roman en trois parties distinctes peut agacer par son didactisme. Mais il serait malhonnête de s’arrêter sur ce détail, tant Eric Holstein nous embarque dans son histoire sans jamais cesser de convaincre. Un peu à l’image de Petits arrangements avec l’éternité, qui fonctionnait sans accroc, D’or et d’émeraude s’orchestre comme une partition millimétrée ouvrant parfois des perspectives vertigineuses. Le tout sans avoir l’air d’y toucher, avec une modestie manifeste. On s’en doutait, en voici désormais la preuve, Eric Holstein fait désormais partie des plumes de la SF française. Une SF qui va devoir compter avec lui. Et quelque chose nous dit qu’elle ne s’en portera pas plus mal.