Pauline HOPKINS
RÒT-BÒ-KRIK
256pp - 15,00 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Ce roman, paru sous forme de feuilleton entre 1902 et 1903, inédit jusqu’alors en français, est présenté comme précurseur de l’afrofuturisme. Récit empreint de culture biblique, D’un seul sang tire son titre des Actes des Apôtres (17:26) : « Il a fait d’un seul sang toutes les races des hommes. »
Le résumer oblige, si l’on ne veut pas occulter l’importance et la force du deuxième mouvement de l’histoire, à divulgâcher largement — écueil que la quatrième de couverture ne parvient pas non plus à éviter.
Reuel Briggs, brillant étudiant en médecine, fils d’une mère esclave, parvient à cacher ses origines, à la faveur d’un passing racial lui permettant d’apparaître comme blanc, là où la société et le droit l’excluraient d’office de la blanchité. L’autrice démarre son histoire comme une romance, avec toute la « gênance » possible de l’époque, nous narrant la découverte de l’amour par Reuel, seule chose à même de le soustraire à ses recherches sur le magnétisme animal. À la faveur d’un accident, il se retrouve à pouvoir concentrer les deux dans un même élan. Une atmosphère d’occultisme flotte d’emblée sur le récit, donnant un cachet fort gothique à cette histoire se déroulant dans les interstices de la haute société bostonienne.
Après quelques pages d’atermoiements, et sur les conseils de son ami Livingston, Reuel s’embarque pour l’Éthiopie, en tant que médecin, pour une expédition sur les traces d’une civilisation alors méconnue, à Méroé. Adieu l’atmosphère sombre et froide de la Nouvelle-Angleterre, nous voici projetés en plein désert, où les mystères règnent. Place au roman d’aventures, mais épuré de la négrophobie usuelle. Si le regard des protagonistes donne lieu à quelques descriptions peu amènes des villes et peuples « orientaux », le chef de l’expédition poursuit une intuition toute révolutionnaire pour l’époque. Au gré des péripéties, Reuel découvre un incroyable royaume, dissimulé au reste du monde. Une sorte de Wakanda avant l’heure, avec une foi bien plus centrale.
Résolument antiraciste, le roman de Pauline Hopkins aborde de front des applications concrètes du racisme. Ainsi, la règle de « l’unique goutte de sang » et la « ligne de couleur » sont dénoncées sans ambiguïtés. Concernant la « ligne de couleur », il est saisissant de noter que le terme, apparu sous la plume de Frederick Douglass en 1881, est popularisé par W.E.B. Du Bois dans Les Âmes du peuple noir, essai publié en 1903, soit la même année que la fin du feuilleton D’un seul sang. Cette dénonciation, périphérique dans la première partie, devient bientôt primordiale.
Traitant à la fois de la question, contemporaine pour Pauline Hopkins, de la ségrégation raciale légale (on pardonnera cette redondance pas vraiment innocente) aux USA, et plus généralement de la place des peuples noirs dans l’histoire et l’historiographie mondiale, D’un seul sang est assurément un texte marquant par sa modernité et son avant-gardisme. Glorifiant certes à la manière d’afrocentristes qui lui succéderont l’importance centrale d’une antique civilisation noire, mais s’acharnant surtout à défendre un universalisme non dévoyé, ne feignant pas de ne pas voir les couleurs, mais œuvrant à les dépasser — ici dans un cadre religieux, mais dont on peut s’affranchir.