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Les critiques de Bifrost

Dans l'océan de la nuit

Dans l'océan de la nuit

Gregory BENFORD
DENOËL
460pp - 22,11 €

Bifrost n° 23

Critique parue en juillet 2001 dans Bifrost n° 23

[Critique commune à Dans l'océan de la nuit et À travers la mer des soleils.]

 

C'est avec Dans l'océan de la nuit que Benford a commencé à se faire remarquer. Paru en 1978 aux USA, le roman est le collage d'une suite de nouvelles. Le germe du cycle du « Centre Galactique » remonte à 1972… et ses volumes continuent à paraître (ces deux livres avaient été publiés en français dans la collection « Présence du Futur », les suivants chez « Ailleurs et Demain », réédités au Livre de Poche ; Sailing Bright Eternity est encore inédit en français).

Structuré en épisodes, le premier livre peut être répétitif. Grosso modo, un artefact technologique extraterrestre d'un âge impressionnant est découvert dans le système solaire. Nigel Walmsley s'arrange toujours pour être sur le coup, et pour avoir raison contre ses supérieurs. C'est d'abord un astéroïde qui se révèle épave d'astronef (influence d'Arthur C. Clarke !), puis un vaisseau interstellaire automatisé, puis une épave de station laissée sur la Lune. Au fil des péripéties s'affirme la personnalité de Nigel. Benford en a fait un Britannique travaillant pour la NASA, accentuant encore son mépris de sa hiérarchie, son côté loup solitaire.

Si le rythme paraît parfois gêné aux entournures, Dans l'océan de la nuit présente un pont intéressant entre les deux directions prises par l'œuvre romanesque de Benford : d'une part des livres situés dans un proche futur, portant un regard satirique sur les modes de notre société et les chamailleries du milieu universitaire et scientifique (archétype : Un Paysage du temps, 1980) ; d'autre part des livres situés dans un futur lointain, où les protagonistes humains font face à des forces qui les dépassent, naturelles ou artificielles. Dans l'océan de la nuit est daté de la fin du XXe siècle (déjà dépassée !) et, si Nigel scrute l'espace, il connaît aussi des démêlés avec une secte qui va, elle, y chercher une expérience mystique.

De ce point de vue, c'est À travers la mer des soleils qui marque le vrai début de la série du « Centre Galactique ». C'est ici qu'est mis en place le cadre global d'une lutte entre vie organique et mécanismes autonomes à l'échelle de la galaxie entière (au moins). Nigel s'est embarqué sur un vaisseau d'exploration en quête de la source d'un signal radio artificiel reçu sur Terre ; peu après leur départ, sur la planète-mère, l'infestation des océans par des animaux extraterrestres a rendu presque impossible le commerce international et menace toute l'humanité. Les passages les plus forts du livre sont consacrés à un protagoniste sans rapport avec le vaisseau, Warren, naufragé sur un radeau dans le Pacifique, occupé à survivre et à communiquer avec les extraterrestres aquatiques.

À travers la mer des soleils est un roman sombre et marquant. Benford fait preuve d'une remarquable ingéniosité dans la création de formes de vie extraterrestres, et préserve une étincelle d'espoir dans un combat qui en paraît bien dépourvu. Quoique vivant dans la société close et inquisitrice d'un vaisseau parti pour des années (sinon des décennies), Nigel est aussi marqué par la solitude que Warren. La sienne est due à la vieillesse, aux tricheries qu'il organise pour éviter une mise à la retraite souhaitée par ceux qu'indispose son sale caractère. La relation avec les femmes n'entame pas l'isolement. Warren passe une partie de son calvaire en compagnie d'une autre rescapée, et pourtant ne communique guère avec elle ; de même la fidélité de Nikka, la nouvelle compagne de Nigel, ne l'adoucit guère, et n'atténue pas la vivacité de ses confrontations avec les autorités du bord.

En dépit d'une certain répétition des situations, Benford maintient sans cesse l'intérêt par son inventivité, et par l'excentricité qu'il imprime à son protagoniste (les héros vieux, et qui ressentent les atteintes de l'âge, sont chose rare en S-F). Il se détache aussi de la majeure partie de ses confrères écrivains de hard science par un style plus recherché, qui bascule à l'occasion dans le dialogue cacophonique ou la poésie de la science.

Voici des livres à lire, et leur réédition doit être saluée.

Pascal J. THOMAS

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