Jim BUTCHER
BRAGELONNE
352pp - 9,99 €
Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47
Après avoir donné ses lettres de noblesse à l'heroic-fantasy bas de plafond, ressuscité la science-fiction — le space opera, pour être précis —, s'être engagé de manière inouïe (ahah !) et forcément admirable (ahah !) pour une noble cause (Une Fille comme les autres de Jack Ketchum), les éditions Bragelonne ont décrété qu'il fallait redonner sa chance au fantastique, cette littérature mal aimée dans l'Hexagone, comme en témoigne la quasi-disparition de toutes les collections qui lui étaient dédiées. On attendait donc Jean Ray, Dennis Etchison, Lucius Shepard, Steve Rasnic Tem, K. W. Jeter ou, à la rigueur, leurs héritiers. C'est finalement Jim Butcher que l'on découvre. On espérait s'enivrer avec les effluves de quelques fleurs littéraires vénéneuses. On reste médusé devant un nain de jardin charriant sa brouette de clichés et autres blagues de potache. Ambiance : « Le facteur était en avance de trente minutes. C'était un remplaçant. Son pas plus lourd avait quelque chose de désinvolte et le type sifflait. Il sifflotait encore avant de s'arrêter brusquement devant ma porte. Il y eut quelques instants de silence, puis il éclata de rire. »
À la lecture de Dans l'œil du cyclone, on n'est pas loin d'éclater de rire aussi au tour de passe-passe que l'on vient de nous jouer. En effet, Jim Butcher, c'est du lourd, voire du très lourd. Attention, pas de cette lourdeur qui découle de l'aura médiatique. Non, du lourd qui accable, pèse et, finalement, s'écrase comme une tarte à la crème en pleine face. Ahah ! Ils nous ont bien eu chez Bragelonne (et chez SciFi, partageons tout de même les responsabilités). Ils nous ont entarté bellement. On croyait lire un roman de littérature fantastique et c'est finalement une pochade puérile et mal écrite (la traduction n'y est sans doute pour rien, encore que…) que l'on achète (presque dix euros, quand même). Tout juste un scénario de série télé médiocre, à mi-chemin entre Buffy et Scoobidoo… Pardon… Ah oui ! « Les Dossiers Dresden » sont déjà une série télé aux Etats-Unis. Décidément, rien ne nous sera épargné. Mais j'entends déjà les esprits chagrins ronchonner. Et l'histoire ! Il serait peut-être temps d'en parler ! C'est bien là le problème : une histoire, un tant soit peu sérieuse, il n'y en a pas. Ce court (ouf !) roman est un texte nombriliste consacré quasi-exclusivement au personnage de Harry Blackstone Copperfield (si, c'est ça, son nom) Dresden, un jeune magicien qui a fait de l'élucidation des affaires paranormales sa raison sociale. On peut d'ailleurs résumer le propos par une énumération. Lorsque le roman commence, Harry est fauché. Heureusement, une cliente lui téléphone pour lui demander de retrouver son mari. Dans le même temps, l'inspectrice Karrin Murphy, du Bureau des enquêtes spéciales de Chicago, le contacte pour examiner deux victimes décédées dans des circonstances… acrobatiques : « Ils étaient morts dans leur lit, cette nuit. La rigidité cadavérique avait commencé son œuvre. La femme chevauchait le type, le corps tendu en arrière, le dos courbé comme une danseuse, l'arrondi de ses seins lui conférant une charmante silhouette. L'homme, grand et musclé, agrippait les draps de satin, les serrant dans ses poings. Un photographe érotique en aurait tiré un tableau magnifique. Dommage que les côtes gauches de nos amants aient décidé d'exploser, faisant jaillir des pointes osseuses qui avaient déchiré les chairs. Les artères avaient projeté du sang jusque sur le miroir du plafond, avec des morceaux de chair gélatineuse et probablement les restes de leurs cœurs. » En sortant de la scène du crime, Harry est prié par le patron du défunt — un gros bonnet de la pègre — de laisser tomber l'embryon d'enquête que son amie Karrin vient de lui confier. S'il cède, l'inspectrice ne sera plus sa copine… Vous pensez bien que Harry ne va pas se laisser impressionner. D'ailleurs, il est grand temps pour lui d'aller au pub McAnnaly, où il a ses habitudes, afin de déguster une ale — parce que, si vous ne le savez pas, Harry apprécie l'ale brassée par Mac, le patron peu loquace du McAnnaly. À peine accoudé au comptoir, il est accosté par Susan Rodriguez, provocante journaliste du tabloïd Les Arcanes de Chicago, qui, aussitôt, le drague outrageusement :
« — Harry Dresden, vous êtes vraiment impossible. (Ses yeux cillèrent un peu plus.) Vous n'avez même pas regardé mon décolleté, je me trompe ?
Je pris une lampée d'ale et fis signe à Mac de lui en servir une. Ce qu'il fit prestement.
— Je plaide coupable, lâchai-je. La plupart des hommes seraient complètement dingos, à ce stade.
— Il faut que je fasse quoi, avec vous, Dresden ?
— Je suis pur de cœur et d'esprit, rien ne peut me corrompre.
Ivre de frustration, elle me dévisagea pendant quelques instants avant d'éclater de rire. Même son rire était beau, chaud, intense. Je profitai de l'occasion pour regarder sa poitrine. Il y a des limites aux vertus de la pureté de l'esprit et du cœur. »
Harry se fait finalement extorquer un rendez-vous. Mais en attendant, il a deux enquêtes urgentes sur le feu. Il invoque donc un (pas une) fey, répondant au surnom doux à l'oreille de Tut Tut, pour obtenir des réponses. Là-dessus débarque Morgan, un magicien chenu, pseudo clone de Sean Connery dans Highlander (ben si, c'est comme ça) qui le menace avec son épée maousse des foudres de la malédiction de Damoclès s'il est prouvé que Harry est Le coupable. De quoi ? Des deux meurtres, ci-dessus mentionnés, et de diverses entorses au code de la Blanche Confrérie. Eprouvé, Harry rentre chez lui et on découvre (enfin !) son intérieur cossu (éclairage à la bougie, chauffage et cuisine au bois car les bienfaits du confort moderne ne résistent pas à l'aura magique surpuissante de Harry). Il confectionne, aidé d'un esprit de l'air domestiqué qui loge dans un crâne (Bob, qui nourrit une obsession notoire pour la gent féminine), un philtre d'amour pour son rendez-vous avec Susan (vingt centilitres de tequila, cent grammes de chocolat, une goutte de parfum, trente grammes de soie déchirée, le dernier soupir recueilli au fond d'une bouteille, les cendres d'une lettre d'amour pleine de passion ou, à défaut, quelques pages de romans à l'eau de rose avec des couvertures regorgeant de chair sensuelle…). Ce n'est pas qu'il doute de son sex-appeal, mais Harry préfère être à la hauteur. Etc. Etc.
Nul besoin d'en rajouter pour rendre compte de la substantifique matière (fécale ?) de cet ersatz de roman. Au passage, rendons hommage à Jim Butcher dont l'écriture est à la hauteur de l'inexistence de l'histoire. Malgré ce sérieux handicap, il réussit, haut la main, le tour de force de surécrire, comme un acteur cabotin surjoue. L'humour est au mieux puisé dans des résidus de fond de capote, au pire complètement crétin (mais il paraît que les adolescents aiment les crétineries). Les descriptions sont parfaitement alimentaires : « Elle ressemblait à une pizza. Le visage pâle par endroits et rouge ailleurs, elle était aussi molle qu'une frite McDonald's, sauf quand des spasmes tétanisaient ses muscles ». Sans oublier que Jim Butcher semble d'ailleurs vouer un culte aux majorettes dont les petits nez, voix rauque et jeter de bâton (non, là j'invente) agrémentent les descriptions féminines. Quant au style, c'est tout simple : il n'y en a pas. Ou alors il faut considérer qu'interpeller constamment le lecteur — genre voix off — est un procédé littéraire hautement soutenu. Bref, on savait le fantastique moribond en France. Avec Jim Butcher et par l'intermédiaire des éditions Bragelonne, c'est certain, il n'est plus que l'ombre de lui-même.