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Les critiques de Bifrost

Dans la vallée des statues et autres récits

Robert HOLDSTOCK
DENOËL
560pp - 26,35 €

Critique parue en avril 2004 dans Bifrost n° 34

Principalement connu pour sa très curieuse (et très bonne) Forêt des Mythagos, Robert Holdstock est à l'honneur en « Lunes d'encre », avec deux titres disponibles simultanément, dont un recueil de nouvelles plutôt épais (sans même parler de son autre titre, Le Graal de fer au Pré aux Clercs, roman dont nous vous causons plus bas).

Pour la petite histoire, certains textes proposés ici ont déjà fait l'objet d'un recueil baptisé Thorn (un baby « Lunes d'encre » promotionnel, offert pour l'achat de deux titres de la collection), un livre qui fait office d'apéritif avant les choses sérieuses. Dans la vallée des statues en donne donc plus et plus longtemps, sans toutefois prétendre à « l'intégrale ». Il s'agit plutôt d'une sélection serrée et chronologique, offrant un panorama fidèle et représentatif des évolutions de l'auteur, littérairement, humainement et thématiquement. La collection « Lunes d'encre » fait au passage un excellent travail éditorial sur Holdstock, avec des livres sans équivalent en langue anglaise, ce dont on se félicite.

Écrites de 1974 à 1995, les dix-sept nouvelles qui composent Dans la vallée des statues font la part belle à l'ambiance celtique chère à Holdstock, sans toutefois dénigrer les genres plus classiques, voyages dans le temps et délires spatiaux compris. C'est toutefois sur le terrain sombre, humide, touffu et dense de la « celtitude » que Robert Holdstock donne le meilleur de lui-même. Ainsi, les derniers textes sont tout simplement les meilleurs, avec cette écriture à la fois mystérieuse et cette brutale irruption des mythes celtiques dans un quotidien bien terne. C'est d'ailleurs l'un des intérêts d'un auteur comme Holdstock, qui propose une relecture sans équivalent du « mythe », le livrant à la sauce « réel » avec beaucoup d'efficacité. De fait, point de merveilleux ni d'onirique, mais bien l'odeur de la sueur, du sang, et le primitivisme tout animal (graisse, poils, sperme et os compris) qui caractérise la mythologie celtique. La vie y est brutale, sans pitié, et surtout sans véritable considération pour le genre humain, outil dans le meilleur des cas, victime dans le pire. Bref, on est bien loin du Seigneur des anneaux et l'on pénètre ici un monde très particulier, qui ne ressemble à aucun autre et dont on a bien du mal à se défaire.

S'il est évidemment hors de propos de résumer ici les nouvelles proposées dans ce recueil, on retiendra toutefois l'extraordinaire « Les Selkies », une vision particulièrement réaliste de nos bonnes vieilles sirènes (les femmes poissons, pas les saletés volantes chères à Homère), dans un décor écossais inquiétant (les îles Orcades, pour ne pas les citer) : sorte de Robinson moderne, Peterson attend le retour de « sa » selkie, ces femmes qui surgissent des flots glacés sous forme de phoque, pour se transformer ensuite en arbres, enracinés aux rochers, avant de prendre encore d'autres apparences (suivant un processus complexe et particulièrement peu ragoûtant), toutes plus fascinantes les unes que les autres. Quand c'est une autre selkie qui lui rend visite, Peterson comprend qu'il est arrivé quelque chose à son aimée.

Directement précédente à cette nouvelle de toute beauté, « Le Changeforme » en offre déjà beaucoup, via l'initiation d'un jeune garçon par un shaman angoissé, confronté à une énigme temporelle incompréhensible qui dépasse ses compétences. Allégorie subtile de l'apprentissage et de la liberté qu'il apporte (via un esclavage volontaire), ce texte poétique et (c'est plutôt rare chez Holdstock) optimiste est l'un des meilleurs du recueil.

Dans un registre radicalement différent qui remonte au « jeune » Holdstock, « Vieillir encore » relate une expérience scientifique sans précédent : l'observation de la vie accélérée (chimiquement) de deux enfants créés en matrice artificielle, sous l'œil d'une équipe de chercheurs décidés à percer le secret de l'âge et de la vie. Pathétique, sombre et glaciale, cette nouvelle fait office d'Ovni pour le lecteur habitué au Holdstock celtique. Mais si le décor change du tout au tout, on y retrouve néanmoins cette impuissance bien humaine, cette faiblesse si contraignante et cette terreur sous-jacente à l'œuvre « holdstockienne » en général. Témoin, la nouvelle « Thorn », qui met en scène un sculpteur chargé du visage du christ dans une église catholique, et dont le travail véritable relève de l'alliance avec une divinité païenne bien plus ancienne… Et redoutable.

Au final, Dans la vallée des statues est un recueil parfois fascinant, souvent bizarre, toujours curieux et finalement très inventif, éclairé sporadiquement par l'une des plumes les plus originales du moment. Il est donc temps que le lecteur français découvre Robert Holdstock, un auteur somme toute peu connu et dont on aurait pourtant bien du mal à se passer. Dans la vallée des statues est une excellente porte d'entrée dans un monde très particulier, une sorte de voyage (initiatique ou non, à vous de voir) où l'exigence littéraire n'est pas vaine. Loin de là.

Patrick IMBERT

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