Sous ce titre contestable – on n’est pas chez Lefferty – se trouvent rassemblés trois romans de Louis Thirion mettant en scène son premier héros récurrent : le commodore Jord Maogan, personnages qui fera six apparitions. Il s’agit ici des meilleurs de la série, à savoir Les Stols, Ysée-A et Sterga la Noire.
Quand Louis Thirion entre au Fleuve Noir, en 1968 avec Les Stols, il a déjà quelques publications derrière lui, dont l’inclassable (et laffertyen, pour le coup), Les Résidences de Psycartown, chez Eric Losfeld. Mais il est incontestable que c’est au Fleuve qu’il va trouver voie et voix, le ton reconnaissable entre tous qui sera le sien plus de vingt années durant et l’imposera à la fois comme auteur culte et maître du space opera à la française. Une carrière au Fleuve qui compte deux périodes. De 1968 à 1974, d’abord, durant laquelle il publie huit livres, avec Maogan pour héros des six premiers. S’ensuit une éclipse de six années. La seconde, de 1980 à 1991, compte treize romans – pour beaucoup des time opera davantage teintés par l’humour et l’ironie, et dont Gerd Enez Sanders sera le héros de plusieurs volumes.
C’est donc avec Les Stols que l’on fait connaissance avec le commodore Jord Maogan, personnage qui, à l’instar de nombre de héros du Fleuve Noir, est un militaire. Mais un militaire atypique. Un militaire qui ne cesse de fuir, non qu’il soit lâche, mais parce que c’est la meilleure solution. C’est aussi un militaire qui ne gagne pas à la fin, enfin, pas toujours – mais ça, c’est à vous de le découvrir… En 2009, la troisième guerre nucléaire oppose Américains et Soviétiques dans l’espace tandis que soudain, sur Terre, une étrange épidémie se répand, transformant les humains en boules de mousse verte vides d’esprit mais toujours vivants. Dans le même temps, Jord Maogan et son équipage sont capturés par un croiseur intergalactique qui les emporte sur Stol IV, dernière planète habitable d’une lointaine galaxie à l’agonie pour y rencontrer les Stols du titre… On voit le genre, et on se régale !
Ysée-A (paru en 1970) constitue la quatrième aventure de Jord Maogan, la dernière dont il sera le personnage principal. C’est le roman de la série où la vision proprement cosmique de Thirion éclate avec le maximum d’envergure. On y découvre la race des Tulgs, qui ont déjà connu quarante printemps universels : l’univers battant comme un cœur, alternant phase d’expansion et de contraction. Leur race et son fabuleux empire ont été anéantis par l’énigmatique GLORVD. Orvuz, le dernier monde qu’ils possédaient, est détruit à son tour. Oen-Vur se lance alors dans un fantastique voyage de cinq cents milliards de parsecs pour rejoindre sa compagne, Ysée-A, qui a préparé un refuge sur Gmour où ils passeront, endormis, la prochaine phase de contraction universelle… La rencontre avec les humains, et surtout Jord Maogan, prendra très vite, elle aussi, des enjeux cosmiques.
Conté à la première personne par Stephan Drill, qui occupe le devant de la scène, Sterga la Noire (1971) est le meilleur roman de la série. La Sterga du titre est une lointaine planète industrielle que la société McDevitt exploite jusqu’à l’os. Or, des problèmes sont apparus dans ce secteur lointain où Maogan a disparu. La McDevitt a attaqué Aldenor à plusieurs reprises, une planète où vivent les hommes-chats et les femmes-chattes, dont la civilisation est pour l’essentiel psychique et non matérialiste. Si les séides de la McDevitt ont été repoussés, le prix payé par les aldernoriens est écrasant. Stephan Dill devra découvrir qui il est réellement avant de mettre fin aux visées impérialistes de Sterga… Le roman, qui recèle de très beaux passages oniriques, est bien évidemment une charge sans concession contre les méfaits d’un capitalisme sans âme et mortifère. Thirion s’y fait le chantre d’une société plus écologique – quarante-cinq ans après sa parution, Sterga la Noire semble de la plus brûlante actualité.
Roland C. Wagner analyse enfin, dans son article repris en postface, toute l’influence et l’importance de Louis Thirion sur la SF populaire des années 70, examinant les raisons qui ont fait de lui un auteur culte. S’il est aisé de se procurer d’occasion les romans en question, il n’en faut pas moins louer les efforts d’un éditeur courageux – Critic, en l’espèce – qui donne là l’occasion d’en parler et d’inviter un nouveau public à découvrir et lire Thirion : son œuvre en vaut la peine.