Bien longtemps après son cycle « Quand les dieux buvaient », Catherine Dufour revient à ses anciennes amours : dézinguer les mythes et les contes qui ont bercé notre enfance. Tout en ajoutant une pincée bien épicée de satire sociale et un zeste d’écologie. Comme dans ses textes plus anciens, l’autrice multiplie les hommages à Terry Pratchett et à son Disque-Monde : on rencontre un vendeur d’aliments pour le moins douteux au verbe haut (« Je vous le fais à moitié prix ! Et franchement, là, je me coupe une jambe ») ou on s’inquiète régulièrement de la santé de Nounou et de Mémé, par exemple. Les jeux de mots, surtout sur les noms propres, pullulent : « Djinn Thonique », ou encore le marchand d’armes « Glloq » — on pensera à Jean-Claude Dunyach et sa trilogie du troll, chez le même éditeur. Mais tout cela permet-il à une histoire d’émerger, à un récit de surnager ? En grande partie, oui. Le début est laborieux : la mise en place est abrupte, en partie à cause du ton pince-sans-rire de l’autrice n’aidant pas son lecteur à se mettre en condition. Cependant, quand l’intrigue est lancée, tout roule.
Et Catherine Dufour de tirer à tout va sur notre société capitaliste aveugle et destructrice. Les ograins, subtil mélange d’ogres et de nains (vous avez l’image ?), très peu adaptés à la survie dans la nature, profitent du départ de Dieu et de ses Anges et Démons pour imposer leur vision du monde aux autres créatures restées sur Terre. Le problème, c’est qu’ils se reproduisent à une vitesse folle, ces ograins. Et qu’ils ont donc des besoins exponentiels. Toute la terre, toute l’eau, toutes les plantes y passent. Et les anciens habitants des bois se retrouvent obligés de venir travailler en ville pour pas cher. Et donc de piquer le boulot des gentils ograins, parce qu’ils acceptent, eux, d’effectuer n’importe quelle tâche, même dégradante. Et c’est tant mieux pour les marchands d’armes. Car une fois les guerres terminées, que devient leur commerce ? Pas grand-chose. D’où leur volonté d’attiser les braises de la haine, de renforcer les différends afin de vendre, encore et toujours. Toute ressemblance avec une situation réelle est bien évidemment fortuite. La critique est certes facile, mais ici, elle est justifiée, plutôt bien troussée, et mérite le détour. Mieux vaut sortir couvert, toutefois : ici, les traits volent parfois bas.