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Les critiques de Bifrost

Dark Eden

Dark Eden

Chris BECKETT
PRESSES DE LA CITÉ
413pp - 22,00 €

Bifrost n° 79

Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79

« On était la cinquième génération d’Eden après Père Tommy et Mère Angela. Mais personne n’avait jamais tué un autre être humain. Personne. Jamais. »

Dans Famille, l’histoire se transmet de génération en génération depuis cent soixante ans. L’histoire de la fondation de la colonie parée de sa tours du mythe : l’arrivée des premiers humains sur Eden. Ou comment, après un problème technique quelconque lors d’une expédition spatiale, deux terriens, Tommy et Angela, se sont retrouvés abandonnés sur ce monde étrange, cette planète au ciel sans soleil et où les seules sources de lumière et de chaleur proviennent des êtres vivants (animaux et végétaux) qui la peuplent. Dark Eden est l’histoire des descendants de ces deux fondateurs…

Ils étaient donc deux. Plus d’un siècle en demi après, Famille compte cinq cents membres (tous descendants des deux premiers). Et la vie est dure pour Famille. Rongée par la consanguinité, portée par un espoir de sauvetage en provenance de la mythique Terre qu’elle devine vain sans réellement se l’avouer. Dépourvue de technologie, de savoir, de culture même. Jusqu’à la langue qui s’appauvrit au fil des générations, dont le sens des mots se perd, se pervertit. Mais il y a John, de la branche Lampion-rouge de Famille. Lui ne se satisfait pas des vieilles légendes. De l’attente perpétuelle. Du cadre de vie limité de Famille que la démographie croissante épuise. John veut aller au-delà de Noirneige. De l’autre côté. Il ne doute pas d’y trouver une nouvelle forêt. De nouveaux espaces à conquérir. De nouvelles ressources. John est un visionnaire. Il poursuit un idéal de conquête. Et comme tout visionnaire en tout temps et tous lieux, John va rompre l’équilibre social de Famille qu’il considère comme une impasse. Une rupture qui, bien évidemment, n’ira pas sans une remise en question fondamentale, de nombreux dégâts et le réapprentissage de quelques vieilles pratiques banalement humaines mais oubliées, à commencer par le meurtre et la guerre…

Si la science-fiction est une littérature du vrai postulant que la science accroit les possibilités des connaissances, Chris Beckett met en scène une société où le vrai a tellement reculé que les connaissances de ceux qui animent ladite société sont réduites à rien ou presque. Une société obscurantiste dans un monde obscur, mais néanmoins harmonieuse et finalement paisible, libérée par la force des choses de nombre de tabous (sexuels, entre autres) et qui ne connaît pas la violence. Mais une société dans un cul-de-sac, et de fait condamnée. Jusqu’à la rupture portée par John, donc. On ne cherchera pas ici d’explication au fonctionnement du monde dans lequel Chris Beckett place ses protagonistes. Ni à trop gratter quant à la vraisemblance de tel ou tel postulat (l’aspect génétique, notamment, pourrait sembler douteux). Ce n’est pas le propos. Il n’est pas question de hard SF. Beckett place ses protagonistes dans un environnement radicalement différent. Les soumet à des contraintes extrêmes pendant près de deux siècles. Ouvre le couvercle et observe. Une manière de fable, en somme, du classique à valeur d’exemplarité, qui brasse large côté thématiques sociales et culturelles et évite l’écueil d’un manichéisme facile. Le tout, riche idée, raconté à la première personne du singulier, mais à travers des points de vue tournants (avec une récurrence plus marquée de John, évidemment).

Dark Eden est le quatrième livre de Chris Beckett (après deux romans et un recueil). Le premier à nous parvenir traduit. Lauréat d’un prix Arthur C. Clarke (le pendant anglais de notre Grand Prix de l’Imaginaire, le chèque en plus…) mérité. Nous ne sommes pas là en présence d’un chef-d’œuvre, mais d’un vrai bon bouquin de SF doté d’une forme séduisante et d’un fond aux messages nombreux. Un rien poétique, peut-être un tantinet longuet, mais un bon bouquin. Dont l’auteur vient de proposer une suite en VO, Mother of Eden (ce qu’on pourrait regretter, tant la fin ouverte du présent livre est séduisante, mais que cette suite s’avère ou non dispensable, le premier opus se suffit à lui-même). Bref, une jolie découverte.

Olivier GIRARD

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