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Les critiques de Bifrost

L'Histrion

AYERDHAL
AU DIABLE VAUVERT
432pp - 20,00 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

Après une série de romans publiés au Fleuve Noir, Ayerdhal arrive chez J’ai Lu avec une série, « Daym », où sa prose peut s’étendre à foison — chacun des deux tomes compte le double de pages d’un « FNA » classique. Le récit nous emmène dans un futur lointain ; l’humanité occupe une bonne part de la Galaxie, répartie au sein d’États de puissance variable et dont les intérêts divergent fréquemment. Des États toutefois rassemblés au sein du Daym, organisation super-étatique. Si l’idée est belle, le Daym peine à asseoir son pouvoir décisionnaire, surtout lorsque l’un de ses treize membres, un puissant Empire, se prépare à attaquer l’un de ses voisins. Mais Genesis, créature-monde à la complexité inégalée aux  origines  du Daym, a des plans — et des plans dans les plans. L’un d’eux consiste à choisir Aimlin(e) pour endosser le rôle de l’Histrion, un autre membre du conseil du Daym. Comme son nom l’indique, l’Histrion a pour fonction celle de poil à gratter officiel. Le souci est qu’Aimlin(e), rebelle ayant par le passé participé à un soulèvement étudiant écrasé dans le sang, n’aime guère le pouvoir et n’a pas la moindre envie de jouer à ça. Surtout, Aimlin(e) est sexomorphe : le personnage est tantôt homme (Aimlin) tantôt femme (Aimline), avec un pronom dédié (el). Les sexomorphes sont rares et leur origine est inconnue, mais Genesis nourrit l’espoir que la particularité d’Aimlin(e) lui permette d’assurer ses fonctions au mieux…

Avec L’Histrion et Sexomorphoses, Ayerdhal met de son propre aveu ses pas dans ceux de Frank Herbert : au fil des pages, on y croise nombre de factions — un Empire multiplanétaire féodal à l’extrême en proie à des luttes de succession, les femmes télépathes du Taj Rama, les mystérieux Nautes qui maîtrisent le voyage spatial, les robotiques Andres, les encore plus robotiques Néandres — et une galerie de personnages hauts en couleur. Avec un tel foisonnement, il est facile de se perdre dans une intrigue moins tortueuse qu’il n’y paraît, mais pour autant, on suit Ayerdhal sans rechigner. Heureusement, des épigraphes en tête de chapitre sont là pour contextualiser. Avares en descriptions, les deux volumes sont riches de dialogues pleins de verve, ponctués par les réflexions et états d’âmes des interlocuteurs.

L’Histrion raconte les mille et une péripéties de la fuite en avant d’Aimlin(e), jusqu’à ce qu’el accepte enfin son rôle, tandis que Sexomorphoses voit le personnage se lancer dans la quête de ses origines. Si le premier tome est maîtrisé, le deuxième donne l’impression de se perdre en cours de route. D’autres volumes étaient envisagés par Ayerdhal, ce qui explique que Sexomorphoses s’achève sur une fin très — trop — ouverte.

L’un des points saillants de cette série inachevée tient à Aimlin(e), qui rappelle autant l’Orlando de Virginia Woolf que les géthéniens d’Ursula K. Le Guin. Si certains aspects accusent leur âge, reconnaissons à Ayerdhal le mérite d’avoir choisi comme héros un personnage à l’identité de genre fluide (quoique binaire) à une époque où cela demeurait rare.

 

 

Erwann PERCHOC

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