Cory DOCTOROW
GOATER
128pp - 14,00 €
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
Figure majeure de la science-fiction contemporaine de l’autre côté de l’Atlantique, Cory Doctorow reste assez méconnu en France, où seuls deux romans (Dans la dèche au royaume enchanté et l’excellent Little Brother) et une poignée de nouvelles ont été traduits jusqu’à présent. Il est peu probable que la parution de De beaux et grands Lendemains fasse beaucoup évoluer les choses.
Le roman se déroule dans un futur relativement proche et absolument chaotique, dans lequel aucune structure sociale ne semble avoir survécu, où des mechas tout droit issus d’anime japonais affrontent des monstres dévoreurs de cités, et où les membres de sectes vivent en réseau et prônent le retour à la nature. Et dans le rôle du guide à cet univers foutraque, Jimmy, un gamin rendu immortel par un procédé révolutionnaire, condamné à vivre à jamais dans le corps d’un enfant de dix ans.
De grands et beaux Lendemains nous parle de l’avenir, celui que l’on imaginait au siècle dernier et celui, bien différent, qui se dessine aujourd’hui. En contrepoint au chaos insondable que Doctorow met en scène, il y a le Carrousel du Progrès, cette attraction conçue par Disney dans le cadre de la foire internationale de New York en 1964, qui proposait aux spectateurs une série de scènes de la vie ordinaire illustrant l’amélioration des conditions de vie des Américains grâce aux progrès de la science et de la technologie, et que le père de Jimmy a sauvé de la destruction et remis en état. Il symbolise désormais un monde disparu, celui où l’humanité était encore maîtresse de son destin et de son évolution. À ces interrogations s’ajoutent celles du narrateur sur sa propre nature, ses origines et sa raison d’être.
Doctorow soulève ici des questions aussi pertinentes qu’intéressantes. Malheureusement, d’un point de vue romanesque, son histoire manque de chair, son narrateur se laisse trop souvent ballotter par les évènements sans même essayer d’avoir prise sur eux, et il est difficile dans ces conditions de porter un regard autre que distant sur son sort et celui de son monde. En outre, le roman souffre d’une traduction qu’on qualifiera poliment de scolaire, et les innombrables coquilles qui parsèment le texte n’arrangent rien.
À noter qu’en complément à ce court roman, on trouvera également dans ses pages le passionnant discours de Doctorow à la Convention Mondiale de 2010, dans lequel il remet en cause le droit d’auteur tel qu’il existe aujourd’hui, ainsi qu’une intéressante interview menée par Terry Bisson.