Ray BRADBURY
FOLIO
215pp - 8,30 €
Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72
Sur une haute colline de l’Illinois s’est un jour — ou plutôt, l’espace d’une nuit de tempête — dressé un gigantesque manoir. S’y est alors installée toute une ribambelle de « monstres », de la sorcière invisible (capable de s’immiscer dans les pensées), à la momie forcément égyptienne, en passant par un homme ailé, et bien d’autres spécimens encore. Au sein de cette galerie de personnages hauts en couleur, Timothy se singularise par sa normalité. Trouvé et adopté par la Famille, le jeune garçon, tel l’historien qu’il semble devoir être, entreprend de narrer le récit de cette curieuse demeure et de ses habitants non moins étranges…
Un manoir habité par une famille de monstres… Si ça vous rappelle quelque chose, rien de plus normal, car avec ce De la poussière à la chair, Ray Bradbury ne se cache pas d’avoir voulu rendre hommage à son ami Charles Addams. Ainsi, dans la postface de l’ouvrage, il explique même avoir eu un temps le projet d’une écriture en commun avec le dessinateur, père de la célèbre Famille portant son nom, et dont il illustra les aventures macabres durant près de quarante ans pour le New Yorker. Un projet qui ne verra finalement pas le jour…
Sur une base de six nouvelles, pour la plupart écrites à la fin des années 40, dont certaines révisées, De la poussière à la chair est un patchwork de récits situés dans le même univers et assemblés entre eux de façon plus ou moins cohérente. Si, dans un premier temps, le collage semble trop artificiel, le lecteur finit par entrer au cœur de ce roman. Et avec cette toute nouvelle traduction, signée Patrick Marcel, à la fois plus dense et plus fluide, le lecteur peut enfin apprécier toute la poésie qui transpire des mots de Ray Brad-bury. Car au-delà de l’hommage, c’est bien de cela dont il s’agit ici : un assemblage de longs poèmes en prose. La musique des mots est prégnante, évocatrice souvent, hermétique parfois, toujours magnifique. En revanche, pour qui recherche dans De la poussière à la chair le versant politique que lui promet la quatrième de couverture, il faudra repasser. A moins qu’il ne soit fait référence à la « marée montante du scepticisme » qui porte préjudice à la Famille même ? Peut-être que dans l’esprit d’un Américain, l’Athéisme est le pire des maux contre lequel il faut lutter ? On ne saura trancher ici…
Au final, ce livre court, un peu plus de deux cents pages, s’avère une très bonne porte d’entrée pour qui veut découvrir la face fantastique de l’œuvre immense de Ray Bradbury, auteur que d’aucuns réduisent trop souvent à ses écrits de science-fiction, ce que lui-même réfutait (il se considérait avant tout comme un auteur de fantastique). On se gardera par ailleurs d’une impression initiale mitigée, la faute à la structure bancale de l’ouvrage (comme souvent avec les fix-up) : charge au lecteur de se laisser imprégner par la musicalité des mots qui ne manquera pas de le piéger. Le voyage vaut le détour…