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Les critiques de Bifrost

Critique parue en avril 2016 dans Bifrost n° 82

Les extraterrestres ont gagné. Arrivés secrètement sur Terre après des années d’errance, ils ont fini par se révéler à l’Homme. S’en est suivi un conflit court et violent, conclu par la défaite de l’humanité, en grande partie exterminée par une épidémie provoquée par les envahisseurs. Une guerre des mondes à l’envers, en somme.

Malo Claeys appartient au camp des vainqueurs. Comme beaucoup des siens, il a adopté les mœurs et habitudes des vaincus, poussant le mimétisme jusqu’à les singer dans le moindre de leur défaut. Le bougre a pourtant développé de l’empathie pour ces pauvres créatures, en particulier pour Iris, une jeune femme qu’il a sauvée de l’abattoir. Dépourvu d’existence légale, elle habite clandestinement dans son appartement, suscitant l’angoisse de son possesseur lorsqu’elle sort. Un soir, l’hôpital téléphone. Renversée par un chauffard, Iris est gravement blessée et doit être opérée. Pour Malo, c’est la panique. L’accident arrive au pire moment. Ses adversaires politiques risquent en effet de l’utiliser contre lui, montant en épingle la transgression de la loi dont il s’est rendu coupable. Mais le fait lui remet également en mémoire la lente dissolution de ses certitudes éthiques.

La quatrième de couverture de Défaite des maîtres et possesseurs évoque l’univers de la fable, celui que l’on retrouve dans les contes philosophiques voltairiens ou, plus près de nous, chez James Morrow. L’amateur de science-fiction y retrouvera aussi le goût pour la spéculation, le « et si ? » ouvrant les possibles, ici incarné par une inversion de perspective qui n’est pas sans rappeler celle de Under the Skin de Michel Faber. Le roman de Vincent Message nous renvoie à notre faculté à dresser des barrières psychologiques pour rendre acceptable ce qui demeure insupportable quand on y réfléchit bien. Il nous confronte à notre exploitation du règne animal, voire de la planète, que l’on préfère taire en se cherchant des justifications morales, politiques ou économiques. En faisant descendre l’humanité de son piédestal, il bouscule cet ordre artificiel qu’elle a établi pour son unique profit, ravalant ses membres à la situation de simple travailleur, d’animal de compagnie ou de mets de choix pour les privilégiés. Par sa radicalité insoutenable, jusque dans sa description clinique de l’élevage et de l’abattage des hommes, le propos de Vincent Message interpelle et nous secoue dans notre confort personnel. Il nous interroge dans notre rapport à l’autre, l’être supposé inférieur, et dans notre emprise sur le vivant.

Bref, voici assurément une réussite, susceptible de réconcilier les lecteurs de SF et les amateurs de questionnements moraux et philosophiques.

Laurent LELEU

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