Dès ses débuts, Pierre Pelot a choisi d’être un écrivain professionnel, un romancier, or gagner sa vie en racontant des histoires implique de suivre certaines modes. À peine a-t-il fait ses premières armes dans le western que la SF entre dans son âge d’or hexagonal, la période 1975/1985. Pelot s’oriente donc vers ce genre qui a soudain le vent en poupe tout en offrant à l’écrivain la possibilité de dire ce qu’il veut. Plus tard, Pelot ira vers le roman noir et le fantastique, puis le roman historique plutôt que la fantasy sur laquelle il fera l’impasse.
Delirium Circus est donc l’œuvre d’un Pelot trentenaire, encore jeune mais avec déjà de la bouteille car il écrit beaucoup… Dans les années 70, la SF s’intéresse aux média et à leur pouvoir. C’est l’époque où paraissent Jack Barron et l’éternité de Norman Spinrad, Michaelmas d’Algis Budrys, Sur l’onde de choc de John Brunner, L’Incurable de Davis G. Compton adapté à l’écran sous le titre La Mort en direct avec Romy Schneider et où Yves Boisset adapte la nouvelle de Robert Sheckley « Le Prix du danger » (1958). Pierre Pelot n’est pas en reste. Le thème lui parle. Il écrira Les Pieds dans la tête, La Nuit du Sagittaire et surtout Delirium Circus. Le roman est un pur produit de la période.
Avec Delirium Circus, Pierre Pelot va plus loin ; il va jusqu’au bout. Il pousse le thème dans ses ultimes retranchements.
Tout commence sur un plateau de tournage où Zorro Nap défend Fort-Wateralamo contre les Autrichans. Ce pourrait être de l’humour à la Grosse Bertha. Il n’en est rien. Tout est pleinement justifié dans un univers où l’on recycle sans fin les vieux films d’archives, piochant des bribes ici ou là pour faire du neuf avec du vieux sans plus rien savoir de l’origine des choses…
Zorro Nap est joué par Citizen, acteur au faîte de sa gloire, âgé de quatre cents films. Mais Citizen interprète ses rôles drogué et sous hypnose dans des films où les figurants, appelés frimeurs, sont flingués pour de vrai tandis que les animaux sont de précieux automates… Tout cet univers n’existe que pour et par le cinéma. L’univers, c’est le noyau rempli de tubes et de bulles où vit le monde du spectacle et où sont tournés tous ces films dont le public est si avides, et la ceinture qui sert de réservoir de frimeurs. Tout ça pour le dieu Public qui décide de ce qu’il veut mais dont on ignore tout.
Et voilà qu’un beau jour Citizen pète les plombs. Il va jusqu’à mettre en doute l’existence même du public. Serait-il devenu complètement fou ? Il part, quittant son paradis artificiel, en compagnie d’une scrip-girl, à la recherche du dieu Public, bien décidé à comprendre son monde qui lui apparaît désormais sans queue ni tête. Il ira de surprises en surprises jusqu’à la révélation finale au fort arrière-goût dickien.
Delirium Circus est avant tout un excellent roman d’aventures à l’intrigue quasi-linéaire qui ne présente aucune difficulté quand bien même Pierre Pelot ne cesse de nous entraîner dans des décors truqués. En poussant le bouchon aussi loin que possible, il nous amène, mine de rien, à nous interroger sur la place que nous accordons au spectacle dans nos réalités. À quel point la société du spectacle parvient à nous aliéner en nous enfermant dans une vie par procuration. Que l’on ne s’y trompe pas, au tournant des années 80, Pierre Pelot est un véritable auteur de science-fiction qui utilise pleinement le genre pour dire ce qu’il a à dire et le fait avec brio.