Murray LEINSTER, Patrice DUVIC, Tom MADDOX, Joseph H. DELANEY, Marc STIEGLER, Philippe CURVAL, Gérard KLEIN, John Thomas SLADEK, Francis VALÉRY, Hilbert SCHENCK
DENOËL
6,05 €
Critique parue en février 1997 dans Bifrost n° 4
« Au cours des années 60, un type nommé Lovelock avait eut une idée qu'il baptisa « l'hypothèse Gaïa ». Il croyait que chaque être vivant sur Terre faisait partie d'un organisme plus grand appelé Gaïa… Si je ne me trompe pas, l'organisme de Lovelock existe, mais sous une forme qu'il ne connaissait pas. Ce n'est pas notre planète, mais quelque chose qui se déplace sur elle… composé non pas d'êtres vivants, mais des relations qui existent entre eux. »
Nouvelle définition du cyberpunk, cette fois plus étroite et rigoureuse : tous les récits de Patrice Duvic auront ici un rapport étroit avec les ordinateurs et plus précisément les Intelligences Artificielles. Beaucoup plus cyber que punk, donc. On notera que la version 96 de cette anthologie sort amputée du « Johnny Mnemonic » de William Gibson (encore une fois extraite de Gravé sur Chrome chez J'ai Lu) et de « Mémoire vive, mémoire morte » de Gérard Klein (pourquoi au juste ?) - mais augmentée du curieux « BumpieTM » de Francis Valéry.
Le principal attrait de l'anthologie réside dans deux « interfaces » (préfaces entrelardées des nouvelles du recueils) de Duvic et Klein, à la fois pertinentes et très clairement rédigées, ce qui change de l'enthousiaste mais plutôt erratique bavardage de Sterling en ouverture de Mozart en verres miroirs. J'en retiendrais personnellement deux idées, celle que les récits cyberpunks sont très loin d'avoir à ce jour cerné les possibilités qu'offre la thématique de l'ordinateur tout juste effleuré à dire vrai, alors que le présent est déjà sur le point de concrétiser nos délires science-fictif. Deuxième idée, chez Klein, que la logique PC et la logique Mac sont révélatrices de l'absence ou la présence du respect de l'individu. Quand on sait que c'est à ces gens que la logique implacable du net s'apprête à confier le pouvoir monétaire et informationnel (donc politique) absolu sur la planète… Deux remarques toutefois je ne suis pas certain, comme Gérard Klein, que la Science-Fiction échappe davantage à la redite que la littérature générale : dans le détail peut-être — mais dans les grandes lignes philosophiques et humaines, les thèmes de l'intelligence artificielle, du virtuel et même du voyage dans le temps (donc de la destinée etc.), ont déjà été explorées et le seront encore et toujours. En revanche, il est certain que le cadre de la Science-Fiction rend cette exploration à la fois plus efficace et plus accessible. Autre remarque, l'idée d'un ordinateur personnel dans tous les foyers, pourrait très bien devenir de l'histoire ancienne dans quelques années. Comme celle d'ailleurs de toute l'information du monde disponible pour to Rappelons qu'en 1981, en achetant un simple Sinclair ZX81 sans débours plus qu'un millier de francs, on se trouvait à même de programmer en Basic. Aujourd'hui, sur Mac Performa, c'est impossible. La créativité et l'indépendance autorisée par les constructeurs se seraient donc réduites à une peau de chagrin ? Avec les consoles vendues comme des ordinateurs domestiques, le zéro absolu sera bientôt atteint…
Côté nouvelles, « Un logique nommé Joe » de Murray Leinster démontre justement qu'explorer les thèmes du cyberpunk était possible dès 1946. Autrement dit, la définition historique du cyberpunk comme mouvement littéraire des années quatre-vingt prend du plomb dans l'aile. Sur un thème identique, celui de l'émergence d'une intelligence artificielle au sein d’un réseau informatique mondial, le gibsonien paranoïde « Gaïa de Silicium» de Tom Maddox prend l'avantage sur le plus laborieux « Valentina » de Delaney et Marc Stieger. « Nous avions tous décidé d'être heureux » de Philip Curval met en scène l’avidité classique des pouvoirs totalitaires de dominer jusqu'aux tréfonds les individus les plus réfractaires (cf. 1984 d'Orwell) en utilisant cette fois les technologies de numérisation des personnalités humaines comme instrument d’oppression ultime. « Des réponses » Sladek visite un autre lieu commun : la machine hostile y remplace l'extraterrestre descendu de l'espace pour mieux contrôler mentalement les êtres humains. Le côté épouvantable de ce type d'intrigue a été cent fois mieux rendu dans l'horrifique « Press Enter » de John Varley (désolé, j'ignore le titre français, mais je sais que cette nouvelle été plusieurs fois traduites, notamment dans des revues pour PC), qui commence par la découverte par le héros du suicide d'un voisin, qui semble avoir laissé derrière lui un redoutable logiciel d'incitation à l'autodestruction, « BumpieTM » de Francis Valéry est apparu à mon intellect surmené plus comme un exercice de style (intéressant : un récit présenté sous la forme d'un programme auquel il manque d'ailleurs certains renvois de boucles — 157 Goto 130). « La Muse électronique » de Shenck fait plus performant dans le genre « mélangeons le récit et son support », mais, encore une fois, l'exploitation de l'idée ne paraît pas être la meilleure possible.
Pour conclure, voici un avis incidentiel sur le coffret réuni par Denoël : pour une vision plus complète de la mouvance cyberpunk, ajoutez-y Gravé sur Chrome de Gibson (chez J'ai lu).