À la veille de fêter son quarantième anniversaire, Alice se partage entre son emploi administratif dans l’école de prestige qu’elle a jadis fréquentée, ses liaisons éphémères qu’elle n’a nulle envie de rendre permanentes, et son amie de lycée, Sam, qui semble s’épanouir dans sa condition de mère de famille débordée. Et il y a son père septuagénaire, bien sûr, qui se meurt doucement dans une chambre d’hôpital. Il est l’auteur d’un unique livre, un roman pour adolescents sur le voyage temporel, qui a connu jadis un succès foudroyant. Puis voilà qu’un ancien flirt d’Alice, aujourd’hui marié et père de famille, vient inscrire son fils à ladite école de prestige, et elle de se demander si sa vie aurait pu suivre un autre cours. À l’issue d’une soirée un peu trop arrosée avec Sam, la veille de son anniversaire, elle passe la nuit dans un cagibi de l’immeuble où habite son père et se réveille dans sa chambre d’adolescente : son esprit a quarante ans mais son corps a retrouvé ses seize ans. Nous sommes en 1996 – va-t-elle changer sa destinée ? s’efforcer d’empêcher son père de se ruiner la santé ? pousser plus loin les relations avec son flirt ? renoncer à son indépendance ?
Le sujet de ce livre ne brille pas par son originalité : on songe tout de suite au Replay de Ken Grimwood, et bien d’autres titres pourraient être cités. Sur le plan de l’imaginaire (SF ou fantasy ? disons que c’est plutôt de la fantasy), le lecteur chevronné sera déçu. Mais l’intérêt du livre n’est pas là : Demain, même heure relève du roman-roman, l’aspect fantasy n’étant là que pour relever la sauce, et, jugé comme tel, il emporte l’adhésion, tant Emma Straub fait preuve de subtilité dans l’agencement de son intrigue et la psychologie de ses personnages. On peut donc en recommander la lecture aux profanes qui apprécient les « romans de plage » (appellation revendiquée par l’autrice) et qui ont envie d’un brin de magie. Être amoureux de la Grosse Pomme n’est pas indispensable, mais c’est un plus – ce livre évoque irrésistiblement les romcoms écrites et/ou réalisées par Nora Ephron.
Dernier point : Emma Straub, libraire new-yorkaise réputée et habituée des listes de best-sellers, n’est autre que la fille de Peter Straub, et c’est tout spécialement pour lui qu’elle a écrit ce roman alors qu’il était cloué sur son lit d’hôpital suite à une fracture du col du fémur ; elle le lui faisait lire à mesure de sa progression, il lui dispensait ses conseils, et il a pu en découvrir la version achevée avant de quitter ce monde. Un beau témoignage d’amour filial.
Ah ! j’allais oublier, à propos des efforts d’Alice pour changer sa vie : bien entendu, rien ne se passe comme prévu…