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Les critiques de Bifrost

Demain, une oasis

AYERDHAL
AU DIABLE VAUVERT
244pp - 18,00 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

Le narrateur de ce roman est un médecin, qui se retrouve à travailler pour l’Agence Mondiale d’Expansion Spatiale. Il aurait même pu aller exercer dans les stations spatiales de l’organisation s’il n’avait été atteint de géotropause, un mal qui l’empêche de quitter durablement le sol terrestre. Ainsi travaille-t-il donc à Genève, jusqu’au jour où il est kidnappé — sans toutefois être maltraité. Conduit de force en Afrique de l’est, dans un village où il est maintenu prisonnier, on lui ordonne alors une mission simple : soigner les habitants. Ce qui lui vaudra bientôt son surnom : l’Interne. Car ses kidnappeurs, s’ils utilisent des moyens illégaux, tentent de sauver des vies humaines frappées par une sécheresse à nulle autre pareille, accomplissant par là même une mission humanitaire d’une importance cruciale. Et, pour ce faire, sont prêts à « gâcher » d’autres vies dans l’espoir d’un retour sur investissement élevé : pour un médecin suisse arraché à son existence douillette du jour au lendemain combien de vies sauvées grâce à son intervention en Afrique, là où personne ne regarde ? Car si tout l’Occident a les yeux braqués sur les étoiles et l’expansion spatiale, l’Afrique se meurt dans l’indifférence la plus totale. Pour réveiller les consciences, les défenseurs de la dignité humaine n’ont guère d’autres solutions que d’utiliser des manières que l’on pourrait aisément qualifier de terroristes… Le narrateur n’admet pas cette stratégie qui voudrait que la fin (la faim ?) justifie les moyens, aussi va-t-il tenter de se rebeller, en idéaliste qui croit qu’il est possible de faire évoluer les choses par la seule persuasion. Comprenant que ses kidnappeurs ne changeront pas d’avis, il réussira à s’échapper, pour revenir dans son monde d’avant, qui n’a pas changé. Mais lui a évolué au contact du malheur et de la pauvreté, et son regard sur la société s’en trouve irrémédiablement bouleversé, au point qu’un retour sur le terrain devient bientôt évident.

Dans ce roman, couronné à juste titre par le Grand Prix de l’Imaginaire 1992, Ayerdhal se livre à un vibrant plaidoyer pour l’Afrique, pour que celle-ci, en dépit du climat parfois hostile — la pluie qui ne tombe pas des mois durant — ait le droit de nourrir convenablement ses habitants, pour qu’ils puissent bénéficier de soins médicaux décents… Et s’il faut tirer les ficelles politiques les plus sales, le jeu en vaut peut-être la chandelle : le président de l’Af-East, qui paraît de prime abord plutôt idéaliste, se révèle in fine aussi manipulateur que les autres, même si son objectif final rachète nombre de ses actes. L’auteur, au travers de l’affrontement de l’Interne et de Dziiya, la cheffe des terroristes (un personnage de femme forte comme Ayerdhal les affectionne), confronte deux visions de l’engagement politique et humanitaire, et tente d’en démonter les rouages afin d’en tirer le moyen le plus rapide pour parvenir à ses fins. C’est efficace, passionnant, parfois sans concession et d’un pessimisme abyssal, mais il y a aussi, chevillé au corps, l’espoir qu’un jour il soit possible de terraformer le continent noir plutôt que Mars ou Vénus, car c’est là que réside l’urgence. Un splendide roman, l’un des meilleurs de son auteur — et de la SF francophone.

 

 

Bruno PARA

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