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Les critiques de Bifrost

Dérapages

Harlan ELLISON, Robert SILVERBERG
FLAMMARION
372pp - 20,30 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Dérapages, dernier recueil paru en fran­çais d’Ellison, présente en gros des récits publiés dans les années 90, et fait pendant, pour l’édition française, à La Machine aux yeux bleus, manière de best of de ses années 70-80. Con­s­titué de dix-neuf nouvelles, un scénario d’un épisode de Twilight Zone et d’une novella, il est un témoignage éclatant de la vitalité d’un auteur ca­pable de se renouveler sans cesse, tout en assurant une cohérence globale à son œuvre. Mais un auteur qui se sent vieil­lissant (il envisage même qu’il s’agisse là de son dernier livre), comme il le dévoile dans la préface, qui le voit affronter un tremblement de terre et une crise cardiaque, avant de le confronter à une jeune génération d’éditeurs n’ayant plus du tout les mêmes repères culturels que lui, autant de motifs de dérapages que les textes qui suivent vont illustrer. Difficile de résumer l’éventail de ceux-ci, aussi signalera-t-on un peu au hasard cette his­toire inaugurale d’un être aux motivations incertaines qui parcourt le monde et fait tantôt le bien tantôt le mal, au petit bonheur de ses rencontres ; deux archéologues américains qui se rendent en Syrie à la recherche d’un artefact légen­daire, au péril de leur vie ; la vie de Jesse Garon, le frère d’Elvis Presley qui, dans ce monde, n’est pas mort-né ; plusieurs rencontres avec des créatures peu recommandables, voire la visite d’un musée constitué justement de toutes les créatures issues de l’imaginaire collectif ; un homme qui se noie pour découvrir l’Atlantide… sur Mars ! Bref, une imagination débordante, peut-être un peu plus apaisée que dans la jeunesse de l’auteur (son mariage, de loin le plus stable de sa vie, avec sa femme Susan, à qui est dédié ce livre, y est sans doute pour quelque chose), mais qui n’hé­site néanmoins pas à raviver régulièrement nos blessures plus ou moins anciennes, car c’est l’essence même de l’acte d’écriture d’Ellison. Parmi ces textes de grande tenue, on ne saurait passer sous si­lence l’extraordinaire novella « Un méphisto en onyx », qui nous présente un thème un peu éculé en SF, celui du télé­pathe, mais en le renouvelant de manière magistrale sous la forme d’un récit policier à la construction au scalpel millimétrée, et qui se paie en outre le luxe d’aborder avec maestria — et une bonne dose de ruse — le thème cher à l’auteur du statut des noirs au sein de la société américaine. On signalera enfin le plus anecdotique, « Le Dragon sur l’étagère », où l’auteur retrouve son vieil ami Robert Silverberg pour une fantasy bien troussée. Fatigué, Harlan Ellison ? Le corps, peut-être, mais l’esprit, loin s’en faut !

 

Bruno PARA

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