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Les critiques de Bifrost

Dernière chance pour l'humanité

Dernière chance pour l'humanité

Robert James SAWYER
J'AI LU
342pp - 14,00 €

Bifrost n° 27

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° 27

Consternant.

Si on ne m'avait pas, dans ma jeunesse, seriné sans cesse qu'une opinion doit toujours être soutenue par des arguments, je m'arrêterais là. Sérieusement. Sauf que, étant naturellement une enfant sage et disciplinée, il me faut expliquer. Ou tout du moins argumenter…

Nous sommes en 2017, et des extraterrestres envoient depuis dix ans des messages aux Terriens, dits Terriens qui ne parviennent pas à les déchiffrer. Subitement, les émissions s'arrêtent. La psychologue dont on suit les recherches, Heather, est convaincue de détenir la clé du message. Parallèlement, sur le plan familial, sa fille Rebecca accuse son père d'avoir abusé d'elle, soutenant que sa sœur aînée s'est suicidée parce qu'il agissait de même avec elle.

Si la première partie est convenable, le dérapage débute vers la centième page…

Finalement décryptés, grâce à un code assez simple, d'ailleurs, les messages semblent donner le plan d'un hypercube (un cube à quatre dimensions) déplié — remerciez Dali et son Corpus Hypercubus, sinon l'héroïne aurait été en panne sèche d'inspiration. Bref, une fois assemblés les différents éléments, les petits carrés de polystyrène peints se soudent entre eux grâce à la piézoélectricité. Et si on s'introduit dans le montage — ô sublime trouvaille ! — on atteint, je vous le donne en mille, la quatrième dimension ! Et ce n'est pas tout ! Oui, parce qu'on y trouve une sorte de clavier géant, sur lequel chaque touche correspond à l'esprit d'un être humain. Vous appuyez, et hop ! vous voici dans sa tête. Et si vous vous concentrez très fort, vous influencez son esprit, vous le faites penser à quelqu'un en particulier et, re-hop, vous vous retrouvez dans l'esprit de la personne en question, le tout sans avoir à chercher la bonne touche — ce qui serait un peu long avec un clavier de cinq milliards de touches… Comprenez bien que, avec cette machine qu'il est possible de reproduire à l'infini, plus personne n'a de secrets pour les autres. Nous voilà avec Le Meilleur des mondes d'Huxley, mais pris au sérieux.

À ce stade, n'importe quel lecteur convenablement constitué est en droit de se sentir un tantinet affligé. D'autant que se pointe la cerise sur le gâteau… Le mari de la psychologue, Kyle, fait des recherches sur un projet d'intelligence artificielle et sur l'idée d'ordinateurs quantiques — qui travaillent sur un problème en simultané dans une infinité d'univers parallèles. Ces deux éléments viennent s'insérer dans une autre problématique : bien des années auparavant, un chercheur isolé dans l'observatoire d'Algonquin avait reçu un message extraterrestre qu'il s'était empressé d'encoder de manière incompréhensible, avant de se suicider. À l'aide des ordinateurs quantiques, ledit message est décodé et annonce — constatation d'une peuplade d'Epsilon Eridani — que les ordinateurs prendront le pouvoir si on n'arrête pas tout de suite leur évolution. Si, si, comme je vous le dis ! Donc, l'I.A. de Kyle — qui s'appelle Cheetah, et ça non plus, ça ne s'invente pas… — se suicide, parce qu'elle sait que ce message est vrai et qu'elle ne veut pas faire de mal au genre humain. Si ! !

Là, nous sommes à cinq pages de la fin, le monde va devenir un paradis — pas de Mal, pas d'ordinateurs, bref l'Eden — et on se dit que rien ne peut nous enfoncer davantage dans le navrant. Sauf que, tout à coup, arrivent les extraterrestres. Un instant (court), on pense qu'il va y avoir un retournement de situation à même de nous faire s'agenouiller devant le génie de l'auteur. Vraiment, on y croit. Et c'est alors qu'on manque de frôler la syncope : les Centaures — puisque c'est leur nom, se pointent depuis Alpha du Centaure et sont accueillis dans l'espace par notre psychologue. Et devinez un peu à quoi ils ressemblent… À de magnifiques grosses mouches. Re-si ! Mais très belles, hein, les mouches ! On se croirait revenu aux couvertures des pulps de 1930.

Allez, rien que pour vous faire baver, voici la dernière phrase du roman : « Heather était maintenant certaine que son espèce, qui méritait enfin le nom d'humanité, n'aurait plus de difficultés pour comprendre le point de vue des autres. » Vous voulez que je vous dise ? Je n'ai même pas envie de conclure. Il y en aura peut-être pour trouver que c'est à prendre au second degré… D'autre qui défendront l'idée d'une S-F très « psychologique », et surtout optimiste… Peut-être… Pour ma part, j'ai peine à croire que ce roman figure au catalogue de la collection « Millénaires », voire au catalogue de n'importe quelle collection de S-F, pour ne pas dire, tout simplement, qu'il ait trouvé moyen de se faire éditer…

Sylvie BURIGANA

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