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Les critiques de Bifrost

Dernières nouvelles de la terre...

Pierre BORDAGE
L'ATALANTE
240pp - 15,50 €

Critique parue en janvier 2011 dans Bifrost n° 61

Elles ne sont pas bien gaies, ces dernières nouvelles de notre bonne vieille Terre. Elles sont même totalement déprimantes. Pas d’espoir à attendre de ces quelques images de nos avenirs possibles. Bordage veut-il nous faire réfléchir à ce monde que nous détruisons peu à peu ? Veut-il nous faire prendre conscience de la catastrophe vers laquelle nous tendons si rien ne change ?

Les causes sont différentes, mais le constat reste le même : notre avenir est bouché, les futurs potentiels ici présentés sont des impasses. Domination de la machine dans « La Voix du matin » : les humains ont laissé aux IA le soin de décider pour eux. Au point de devenir d’éternels enfants tributaires des ordinateurs. Tentation du repli sur soi dans « Une plage en Normandie », un des deux inédits du recueil. L’Europe y est devenue une vraie forteresse. Sa ligne de miradors est infranchissable. Pour le plus grand désespoir des milliers de réfugiés qui tentent de survivre dans un environnement de catastrophes climatiques prévues de longue date. La Terre, décidément, est bien maltraitée. Celle que découvre le narrateur de « Dans le regard des miens » pourrait effrayer n’importe qui. De retour d’un long séjour sur une planète étrangère, il rentre chez lui et retrouve les siens. Et peine à les reconnaître, victimes d’un progrès mal contrôlé.

Pierre Bordage ne situe pas tous ses textes dans un horizon lointain. Dans « On va marcher sur la Lune », le tour que joue la Chine au reste du monde, et surtout aux Etats-Unis d’Amérique, s’avère plus que crédible — et pourrait se dérouler sous nos yeux. De nos jours, tellement de personnes mettent tout en doute, se regroupent et se confortent grâce à Internet. Pourquoi ne pas imaginer, comme l’auteur, qu’avec quelques preuves assénées par des individus influents, le monde finirait par croire que l’homme n’a jamais mis le pied sur la Lune ? Que tout n’était qu’une vaste escroquerie ? Un texte qui vaut surtout par son côté réaliste et crédible.

Ici, Pierre Bordage ne se cantonne pas à la science-fiction. Ainsi aborde-t-il par exemple les rivages du roman noir avec « Mauvaise nouvelle », une sombre histoire de vengeance, un récit classique mais néanmoins glaçant : des personnages au scalpel, des sentiments exacerbés, une souffrance à fleur de peau. Quant à « Fort 53 », il s’agit d’une relecture du mythe de la Table ronde : la compagnie Excalibur doit protéger la ligne Avalon qui marque la frontière de l’Europe et de la chrétienté face à l’ennemi. Un de ses jeunes soldats fera une rencontre mystérieuse en plein champ de bataille… Un texte qui se révèle pour le moins obscur à qui ne connaît pas les références originelles. On trouve aussi un épisode biographique imaginaire (quoique ?) : le jeu-ne Jules de « Son nom est personne » rencontre les futurs personnages de ses succès littéraires. Amusant, surtout pour les nombreux clins d’œil qui émaillent cette nouvelle.

La découverte de ces Dernières nouvelles de la Terre… ne se fait pas sans plaisir. Pierre Bordage sait manier le récit à chute. Même si la surprise n’est pas toujours au rendez-vous, la maîtrise avec laquelle l’auteur guide son lecteur est telle que les textes s’enchaînent avec un rythme métronomique, peut-être trop.

Reste un recueil sans doute un peu lisse, mais formant un ensemble qu’une fois commencé on n’abandonnera pas facilement.

Raphaël GAUDIN

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