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Les critiques de Bifrost

Dernières nouvelles et autres nouvelles

Dernières nouvelles et autres nouvelles

William T. VOLLMANN
ACTES SUD
896pp - 28,00 €

Bifrost n° 103

Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103

« La mort… Connais pas ! » : voici sans doute l’avis le plus courant quant à la grande faucheuse dans notre monde occidental. En ces temps pandémiques, certains semblent même en nier jusqu’à la réalité…

Et pourtant, la mort existe ainsi que le rappellent les trois textes ouvrant Dernières nouvelles et autres nouvelles. Appartenant aux rares récits non fantastiques d’un recueil relevant pour l’essentiel de ce genre, ce triptyque évoque le passage d’un correspondant de guerre étasunien à Sarajevo durant et après le siège. S’y déploie la peinture d’abord pointilliste puis se muant en fresque d’une condition humaine fondamentalement définie par sa mortalité. « N’oublie pas que tu vas mourir… » rappelle ainsi d’emblée William T. Vollmann à ses lecteurs et lectrices, à qui il affirme ensuite l’impossibilité de se jouer de pareille issue. « Le Trésor de Jovo Cirtovich », première incursion du volume dans le surnaturel, met ensuite en scène un riche marchand de Trieste au xviiie siècle s’essayant vainement à conjurer la mort à l’aide (entre autres artefacts occultes) d’un très prodigieux médaillon. Une aventure dont Vollmann restitue la folie obsessionnelle par une écriture envoûtante, agrégeant selon une manière qui lui est propre érudition extrême et poésie visionnaire. Sertissant l’ensemble dans l’écrin d’un conte, « Le Trésor de Jovo Cirtovich » dépeint l’éphémère grandeur puis l’inexorable déchéance d’un homme qui crut possible de se rendre maître de la mort, en en perçant le secret.

Véritable équivalent littéraire du motif iconographique de la danse macabre, Dernières nouvelles… ne fait cependant pas uniquement office de fascinant memento mori. Car l’on ne se contente pas d’y parler de la mort, on y parle avec les morts. Hantés qu’ils sont au sens le plus fantastique du terme, ces récits ont le plus souvent pour protagonistes fantômes et autres morts-vivants. Les uns sont à peine ectoplasmiques, tel l’évanescent « Fantôme des tranchées », diluant sa spectrale présence à travers quelques-uns des champs de bataille du Siècle des extrêmes européen. D’autres trouvent à s’incarner au travers de divers états de la matière. Dernières nouvelles… compte son lot de zombies, arrachant leurs chairs putréfiées de l’humus d’une nécropole de la Mitteleuropa passée (« La Promesse du juge ») ou d’un cimetière des actuels États-Unis (« Quand nous avions dix-sept ans »). Autant de corps décomposés auxquels s’ajoute celui fait de bronze du défunt écrivain Domenico Rossetti De Scander, parcourant grâce à sa statue la Trieste contemporaine (« Déesse chatte »). Et ce ne sont là que quelques-uns des non-morts qu’amènent à croiser ces Dernières nouvelles…, redessinant le monde à l’aune d’une topographie fantomatique faisant se côtoyer les Balkans et l’Amérique centrale, la Scandinavie et l’Extrême-Orient.

Revisitant par ailleurs les périodes les plus diverses, ces nombreuses rencontres avec les (pas tout à fait) disparus sont – fantastique oblige — frappées du sceau formel et narratif de l’extraordinaire. Mais le plus surprenant à leur propos tient peut-être au fait qu’elles font à chaque fois la preuve que les morts aident en réalité à vivre. Se faisant les révélateurs d’épisodes oubliés de l’Histoire ou bien encore de pans refoulés de nos psychés, les fantômes de Vollmann sont autant de guides pour les vivants. Du moins lorsque ces derniers ne vivent ni dans l’ignorance, ni dans le déni de la mort. Tandis que nous voici dans l’an II de la pandémie, Dernières nouvelles… s’impose comme un vade-mecum aussi fascinant que fructueux.

Pierre CHARREL

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