Après l'indispensable Miroirs et fumée, Neil Gaiman, que l'on ne présente plus, nous revient aujourd'hui avec un second recueil de nouvelles, poèmes et autres expérimentations diverses et variées, dont bon nombre de textes primés. Et l'auteur britannique, à n'en pas douter, a choisi pour son ouvrage à la fois dense et volumineux le meilleur des titres. Ce sont bien, en effet, « des choses fragiles » que ces trente-deux textes de taille variable, et bien souvent des « merveilles ». Une succession d'instants précieux, de petites histoires enchâssées les unes dans les autres, de fragments plus ou moins hermétiques, de saynètes tantôt drôles, tantôt cauchemardesques, alternant gravité et légèreté, quelque part entre l'enfance de tous les possibles et les tristes réalités de l'âge adulte. Des petits bijoux, camées fourmillant de détails, gravés avec délicatesse et méticulosité. La confirmation, s'il en était besoin, de l'art de l'auteur, tout particulièrement pour ce qui est de la forme courte.
Difficile, ceci étant, d'en dire beaucoup plus : dans bien des cas, en dire quelques mots, c'est déjà en dire trop. Et détailler par le menu ce recueil confinerait à l'absurde…
Il faudra donc bien se contenter ici d'impressions, de survol, de souvenirs plus particulièrement saillants : évoquer par exemple la confrontation des univers de Lovecraft et de Conan Doyle dans « Une étude en vert », la nouvelle qui ouvre ce recueil (prix Hugo 2004).
Ou mentionner parallèlement la novella (on préférera ce terme à celui de « court roman » employé un peu abusivement par la quatrième de couverture…) intitulée « Le Monarque de la vallée », qui clôt le volume et rappelle à notre bon souvenir Ombre, le héros du roman sur-primé American Gods ; Ombre, ici amené à participer à d'étranges festivités au cœur de l'Ecosse la plus embrumée et la moins touristique, où il croisera les inquiétants et fascinants personnages que sont Smith et son employeur M. Alice, que l'on avait déjà suivis auparavant dans « Souvenirs et trésors », une nouvelle particulièrement glauque.
C'est qu'il y eut, entre temps, bien des « nouvelles et merveilles », expérimentations plus ou moins anecdotiques, poèmes épars et, surtout, petits bijoux de nouvelles. « La Présidence d'Octobre », par exemple (prix Locus 2003) ; ou « Amères moutures » et ses filles-café ; ou « Les Bons garçons méritent des récompenses » et son merveilleux souvenir d'enfance ; ou encore « L'Oiseau-soleil », avec ses fins gourmets en quête du plus précieux des repas… Mais on pourrait en citer bien d'autres : « La Vérité sur le cas du départ de Mlle Finch », « Comment parler aux filles pendant les fêtes »…
Il y eut aussi, régulièrement, des univers accaparés et/ou revisités (dont, dans un sens, celui de Matrix avec « Goliath »), des histoires et archétypes renouvelés, de Boucles d'or à Arlequin. Un texte de jeunesse au titre à coucher dehors, également (« Les Épouses interdites des esclaves sans visage dans le manoir secret de la nuit du désir redoutable »). Et nombre de bizarreries souvent savoureuses, et en tout cas largement rétives à la classification comme au commentaire.
Bien des choses, tout ce qui, en somme, fait de Neil Gaiman un des meilleurs auteurs du genre, a fortiori en tant que nouvelliste. Ce n'est sûrement pas un hasard si le volume est dédié à Ray Bradbury, Harlan Ellison et Robert Sheckley, « grands maîtres de l'art ». Et le fait est qu'il se montre ici à son meilleur, particulièrement convaincant quand il se livre au travail de précision. Des choses fragiles le confirme, s'il en était encore besoin après Miroirs et fumée : Neil Gaiman est bel et bien un des meilleurs nouvellistes de sa génération.