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Les critiques de Bifrost

Des Sorciers et des hommes

Thomas GEHA
CRITIC
19,00 €

Bifrost n° 92

Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92

Hent Guer et Pic Caram sont de belles ordures ! Mais des ordures puissantes. Et donc dangereuses. Le premier est un guerrier d’exception, originaire de Scalèpe, célèbre pour ses combattants valeureux et sans pitié, lui-même en étant un parfait représentant : tueur solide, habile et sans autre moteur que la recherche de son intérêt. Le second est un des derniers sorciers aux rubans, technique rare et terriblement efficace : chacun d’entre nous est relié à des rubans. Celui qui sait les manipuler peut arrêter un cœur ou paralyser des membres en un simple mouvement de mains. Lui aussi ne poursuit qu’un unique but : s’offrir une existence de rêve. Les autres humains ne sont donc que des obstacles ou des pions sur le chemin de ces deux hommes. Et ils vont en bouleverser, des destins. Réduire quantité d’espoirs à néant. Tel Attila brûlant, selon la légende, l’herbe foulée par son cheval, le duo infernal abandonne, lui, une trace sanglante sur son passage. Et cela finit par faire une sacré liste de victimes plutôt revanchardes !

Nouvelle incursion de Thomas Geha en territoire de fantasy. Après le diptyque sympathique et prometteur même si imparfait du «  Sabre de Sang », repris en Folio (Thomas Day en parlait dans le Bifrost 58 ; ça ne nous rajeunit pas !), l’auteur rennais croque le portrait de deux personnages attachants malgré leur cruauté assumée, réjouissants malgré leur cynisme. À l’origine, ils devaient apparaitre dans une seule nouvelle, « Rubans de soie rouge », finalement non publiée. Ce texte est donc tout naturellement devenu la première partie du roman Des sorciers et des hommes, suite d’épisodes mettant en scène de façon plus ou moins directe Hent Guer et Pic Caram.

La construction du récit, des récits, plutôt, s’avère habile. Le point de vue change constamment, permettant au lecteur de découvrir plusieurs facettes des différents protagonistes. Le regard évolue selon l’esprit que l’on occupe, selon le narrateur choisi par l’auteur. Les hommes et femmes rencontrés acquièrent de fait une profondeur bien plus grande, et l’identification s’en trouve favorisée. Une belle idée, en somme, car si le guerrier et le magicien ont des côtés fascinants, il est assez peu évident de souscrire à leurs actions. Ni même d’avoir envie de les suivre encore, tant la vie humaine à peu de prix à leurs yeux. Un roman exclusivement centré sur ce duo n’aurait pas manqué de lasser, voire d’écœurer : l’écueil est ainsi évité avec brio. Enfin, cette structure pose un horizon d’attente aiguisé tant on ignore longtemps, avec toutes ces variations de point de vue, ce qui se trame d’un côté ou de l’autre ; jusqu’au bout, on peut craindre le pire pour chacun.

Thomas Geha évite par ailleurs un autre écueil : celui d’un univers secondaire surdétaillé. Ainsi peint-il de manière convaincante un monde abouti sans se sentir obligé de tout décrire, donne au lecteur ce qu’il faut pour imaginer le cadre sans s’appesantir de façon excessive sur la couleur des vêtements ou le grain des murs, l’odeur des fruits ou le goût des plats.

Avec Des sorciers et des hommes, Thomas Geha semble donner sa pleine mesure, réussissant la gageure d’impliquer son lecteur dans la destinée de deux monstres d’égoïsme tout en développant un univers riche et crédible. Peut-être pas le pinacle du genre, non, mais du travail d’écrivain bel et bien fait.

Raphaël GAUDIN

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