Ian MCDONALD
ROBERT LAFFONT
432pp - 22,00 €
Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68
Roman initial de l’auteur, Desolation Road, publié en 1988, obtint l’année suivante le prix Locus du meilleur premier roman, et fut également nominé au prix Arthur C. Clarke. Débuts en fanfare, donc, présages d’une carrière riche en récompenses de toutes sortes.
Le décor de Desolation Road, c’est tout d’abord un « désert de sable » et de « pierre rouge ». On aura reconnu la planète Mars, même si le terme ne semble jamais utilisé (à une exception près, mais chut !). Une planète Mars en cours de terraformation, mais sur des zones ponctuelles reliées par des voies de chemin de fer, curieux mélange de technologie très avancée et de vestiges du passé. Subsistent ainsi d’immenses étendues désertiques, loin de toute vie, aussi est-ce dans un coin bien perdu que le docteur Alimantado, entraîné par un mystérieux êtrevert (le little green man de la SF old-school), établit son domicile. Il faut dire que l’êtrevert l’a mené à une carcasse d’Orphe, un robot/ intelligence artificielle qui va lui fournir les premiers éléments pour implanter sa colonie, colonie qu’il baptise, non sans ironie, Desolation Road. Avec les rails qui finissent par passer par ce hameau perdu arrivent quelques colons, chacun s’installant pour des raisons diverses : il y a là Peternoster Jericho, figure du crime qui tente d’échapper à des tueurs ; Rajandra Das, un clochard doté du don merveilleux de remettre en marche toute machine d’une simple caresse ; une pilote d’avion ; trois clones ; une fille assez laide mais capable d’emmagasiner la beauté pour l’irradier d’un seul coup… Constituée de personnages plus picaresques les uns que les autres, la petite communauté va prendre forme et se côtoyer, se structurer, manière d’utopie minuscule dans un décor de western. Car si les problèmes existent — relations de voisinage orageuses, triangle amoureux digne du vaudeville le plus effréné… —, les colons trouvent ici leur compte dans une existence préservée de l’agitation des métropoles martiennes. Néanmoins, il ne sera pas possible aux membres de la communauté de vivre l’expérience plus longtemps : une terrible menace (mais si invraisemblable, statistiquement parlant, que l’on en rirait presque) pèse en effet sur Desolation Road. Ni une ni deux, le docteur Alimantado décide de créer une machine à voyager dans le temps pour retourner dans le passé et éliminer le danger. La collectivité, perdant ainsi son point d’ancrage et de cohésion, ne tarde pas à imploser, l’essentiel de ses habitants quittant alors Desolation Road pour renouer avec les grandes cités martiennes et le capitalisme autocentré qui les anime. Certains sauront y trouver leur voie, devenant le Plus Grand Joueur de Billard du Monde ou une figure de la résistance à la colonisation par la Terre, ou encore gravissant les échelons d’une grande entreprise par la seule force de la délation…
Difficile de résumer ce roman, car il y a là beaucoup de choses : des personnages truculents, aussi improbables qu’attachants qui s’entrecroisent constamment, et un condensé des thèmes de la SF (Mars, terraformation, robots, clones, voyage dans le temps, steampunk…), convoqués comme si le lecteur se trouvait sur des montagnes russes : à chaque virage, on ne sait dans quelle direction McDonald va nous entraîner, quelle thématique emblématique du genre il va choisir. C’est donc avec une vraie jubilation que l’on découvre cet improbable kaléidoscope, marqué par son ambiance toute particulière, à mi-chemin entre la poésie du Bradbury des Chroniques martiennes et la rigueur scientifique du Robinson de la « Trilogie Martienne » (publiée après Desolation Road). La gageure à laquelle se confrontait l’auteur consistait à essayer de garder une cohérence à un tel déferlement de motifs variés ; pari réussi, on a beau être brinquebalé de part et d’autre, toute scène qui semble déconnectée du reste de l’intrigue trouvera écho quelques péripéties plus tard.
Mélange invraisemblable de SF échevelée, de satire sociale, de vaudeville et de western, brillant d’inventivité, Desolation Road marquait donc les grands débuts de Ian McDonald, et augurait du meilleur pour la suite de sa carrière. On conseille donc vivement ; le lecteur comblé pourra poursuivre la découverte de cet univers par la lecture de quelques-unes des nouvelles d’Etat de rêve, et on osera espérer qu’un jour prochain un éditeur décide de traduire Ares Express (2001), roman semble-t-il de la même eau que ce renversant Desolation Road.