On a souvent qualifié Dominique Douay d’auteur dickien, et il est vrai que l’ombre de PKD plane sur nombre de ses récits, comme dans la nouvelle « Thomas », qui a obtenu en 1977 le Grand Prix de la Science-Fiction Française (futur Grand Prix de l’Imaginaire) ; cela est moins vrai pour le roman phare de cette compilation, La Vie comme une course de chars à voile, qui serait plutôt à rapprocher de l’univers de Christopher Priest.
Dans « Thomas », le rêve schizophrénique d’Alduce est parasité par une entité qu’il n’a pas lui-même créée, et qui va peu à peu dominer l’univers onirique du patient, puis Psychan, l’ordinateur psychanaliste, Georges, le médecin humain, et peut-être un jour la planète entière, tel le Palmer Eldritch du Dieu venu du Centaure.
La Vie comme une course de chars à voiles, probablement le roman le plus ambitieux de l’auteur, jongle certes avec la perception de la réalité, mais le héros, François Rossac, cherche à comprendre le délitement du monde qui l’entoure, comme la plupart des héros priestiens. Il ne plonge pas dans une spirale paranoïaque qui emporte la raison dans un maelstrom lysergique, comme souvent chez Dick. Il y a bien sûr l’élan insensé qui incite à ordonner le monde selon ses propres fantasmes, mais ceux de Rossac se dressent contre les sectes millénaristes, les multinationales et les généraux qui manipulent le monde, et finissent par imposer son propre univers, celui des îles anglo-normandes, qu’un dôme protège d’obscures menaces extérieures, et où Rossac mène une existence privilégiée de champion de chars à voile. L’Archipel du rêve n’est pas loin, mais c’est surtout au Wessex de Futur intérieur que le roman de Douay fait écho.
L’autre roman du volume, Car les temps changent, est le développement d’une nouvelle parue dans le recueil Cinq solutions pour en finir. Il ne s’agit plus là de faire seulement le tri entre l’illusion et la réalité, si tant est qu’elle existe, mais de savoir jusqu’à quel point cette dernière est mise en scène. Le roman flirte avec l’absurde, voire le grotesque, et évoque pour le coup Kafka ou Lem. Chaque 31 décembre a lieu le changement. Vous vous endormez garçon boucher, et le lendemain matin vous êtes président, ou mieux, présidente de la république. Le sexe et l’âge importent peu, seuls comptent l’apparence, le rôle qui vous a été attribué dans un monde où le mot est la chose qu’il exprime, et où la carte devient le territoire. Reste à découvrir qui en est le grand organisateur… Ayant été mystérieusement épargné par le dernier changement, Léo le Lion part en quête de son identité dans une ville en vase clos, un Paris qui s’étage sur une infinité de niveaux, comme la maison aux mille étages de Jean Weiss, et que traversent les canalisations de la Seine et les toboggans du métro. En écho aux slogans de nos dirigeants historiques, du « changement dans la continuité » à la « rupture tranquille » en passant par la nécessité de « mettre un frein à l’immobilisme », Léo découvrira que le changement organisé c’est finalement la continuité assurée, pour que le libéralisme poursuive tranquillement sa route.
En complément de ces deux « vertiges », figurent cinq « malaises », dont l’excellent « Thomas » déjà cité, ainsi que « Froide est ta peau, Sytia. Morne mon désir », et « Le Rêve amoureux », d’une facture plus poétique qui expriment merveilleusement l’art de la concision du novelliste.
Signalons enfin l’interview fleuve de l’auteur par Richard Comballot, qui permet de mieux découvrir et apprécier un écrivain essentiel des années 1970/80, toujours en activité, pour le meilleur… et pour le meilleur.