De 1981 à 1996, Jean-Pierre Moumon et Martine Blond ont crée et animé Antarès, fanzine trimestriel de qualité professionnelle (avec quelques retards et éclipses), qui connut 47 numéros. Du courage, il en fallait pour réaliser avec peu de moyens une revue au contenu copieux nourri par une infatigable curiosité à lire et dénicher de par le monde des récits de bonne facture, puis les traduire (Moumon traduit au moins quatorze langues). En réaction à une littérature anglo-saxonne envahissante, Antarès désirait faire entendre les voix des pays auxquels personne ne s’intéressait. Nul ostracisme, cependant : Brian Aldiss, Poul Anderson ou Sylvie Denis figuraient au sommaire, mais il s’agissait d’équilibrer avec les autres pays. Autant dire que, seule sur son créneau, la revue n’avait pour ainsi dire pas de concurrence : seuls quelques auteurs italiens ou allemands, et peut-être deux Russes et un Polonais, parvenaient à s’insérer dans le paysage éditorial français. Certes, la période n’était pas favorable à l’Imaginaire, et il aurait été impensable de traduire des textes alors que les auteurs français peinaient à publier les leurs. Mais face à la position quasi hégémonique des Anglais et Américains, force est de reconnaître que les éditeurs et lecteurs n’étaient guère curieux, supposant peut-être que dans un pays de faible production, la qualité ne pouvait qu’être médiocre. Les infatigables animateurs d’Antarès entendaient démontrer le contraire.
En témoignent les six nouvelles rassemblées ici, aux tons et aux thèmes aussi variés que leurs origines.
« Danse de la mort » , de la Suédoise Bertil Mårtensson, est précisément un de ces récits qui, autour de la physique des trous noirs, et plus précisément de l’horizon des évènements, propose une intéressante réflexion philosophique sur le thème de la quête de l’immortalité.
« Les Montagnes de la Lune » , de l’Italien Riccardo Leveghi, qui mélange plusieurs mythologies censées receler une même vérité, ne retient l’attention que le temps de la lecture, en raison notamment de son bavardage.
Ce n’est pas le cas de « Planète de vie », du Roumain Gheorghe Sasarman : suspense et tension sont au rendez-vous lors d’une discussion orageuse à bord d’un vaisseau spatial échoué sur une planète, à propos de la pertinence d’envoyer une nouvelle mission de secours chercher les deux premières ayant disparu. On songe à Solaris, pour l’aspect incompréhensible de la planète et la difficulté de communication avec une entité extraterrestre trop dissemblable. Le final est de toute beauté.
Écrit en castillan par une philologue anglo-germaniste et hispanique vivant en Autriche, « La Dame-dragon », d’Elia Barceló, est le nom donné à Luna par les autochtones qu’elle étudiait, suite au culte qu’elle a instauré afin d’assurer sa survie et échapper à la solitude après que son vaisseau l’a abandonnée. Transgression du point de vue anthropologique et éthique ? Deux récits entrelacés permettent de reconstituer les événements et de découvrir l’histoire dans l’histoire.
« L’Éthique d’une trahison » , du Brésilien Gerson Lodi-Ribeiro, inverse l’issue de la guerre du Brésil et de l’Argentine contre le Paraguay : vainqueur, celui-ci n’a pas été démantelé mais a absorbé ses ennemis sous une grande république instaurant la Pax Paraguayana. Des problèmes racistes subsistent cependant. Cette uchronie sur fond de voyage temporel pose la question éthique des changements de trame historique.
Enfin, « Tandem », novella norvégienne d’Øyvind Myhre, combine une ambiance western avec une intrigue politique se déroulant sur Mars, où s’est imposée une société anarchique. Tout y est, suspense et action, humour et émotion, un substrat scientifique précis assorti d’un discours politique et philosophique parfaitement intégré à la narration. Un excellent texte, parsemé aussi de clins d’œil à la SF classique.
Chaque texte est accompagné d’une présentation de l’auteur et d’une bibliographie des parutions en France. En annexe, on trouve un index des parutions, qui donne une idée du copieux matériel des 47 numéros de la revue. Seul bémol, la présence de fautes et de coquilles typographiques — en espérant qu’un prochain volume présentant d’autres trésors d’ Antarès veillera à les éliminer.