Jean-Pierre Hubert nous a quittés en 2006 dans une indifférence quasi générale. Dans les années 80, il a pourtant récolté pas mal de récompenses : deux fois le Grand prix de l’Imaginaire et quatre fois le Rosny Aîné dont un doublé pour son roman Le Champ du rêveur publié en « Présence du Futur » chez Denoël.
Mais le creux de la vague (et la disparition presque totale de la SF) du début des années 90 eut raison de lui. Lorsqu’il tenta de nouveau sa chance à la fin des années 90, les francs-tireurs dans son genre n’avaient plus trop leur place et même ceux qui avaient opté pour une SF plus classique commençaient à se voir pousser hors des étagères par les premières vagues de la fantasy. Seule la littérature jeunesse avait un avenir dans le genre. Voie qu’il emprunta un peu à son corps défendant. Il récolta certes de nouveaux prix, mais les années passant, le brillant auteur des années 80 finit par être oublié.
Avec le présent recueil, Richard Comballot comble enfin ce manque.
Que notre spécialiste de la science-fiction française poursuive ce travail éreintant de revalorisation du patrimoine absolument seul et dans un silence si assourdissant est totalement hallucinant. Très peu de signes d’encouragement — sinon par les éditeurs indépendants (le Bélial’, la Volte, Rivière Blanche ou Eons) qui lui permettent d’exister et on ne saurait trop les en remercier — pas le moindre prix pour récompenser son travail (et donc celui des auteurs disparus qu’il fait revivre l’espace d’un recueil ou d’une monographie : Dorémieux, Demuth…). Celui de Jean-Pierre Hubert est composé de seize nouvelles (dont une inédite), publiées de 1975 à 2001. De deux préfaces : une de Richard Comballot et une de Daniel Walther, découvreur puis ami de Jean-Pierre Hubert, d’une longue et passionnante interview extraite de Bifrost, et d’une bibliographie exhaustive d’Alain Sprauel.
Les quatre premiers textes, issus des années 70, sont représentatifs de la première période de l’auteur. Avec une forte composante « politique », comme la quasi-totalité des textes de ces années-là. L’une d’elles est d’ailleurs extraite de l’anthologie de Joël Houssin et Christian Vila Banlieues Rouges : un titre sans appel. Mais Jean-Pierre Hubert fait toujours preuve d’un style très personnel et d’un ton humaniste malgré la noirceur imposée par la composante dystopique des textes. Dans les années 80, il se détache de toute contrainte et livre alors une série de nouvelles éblouissantes au ton très personnel. Certaines (utopies/dystopies), comme « Tout au long de l’île au long de l’eau », « L’Aube des autres », sont proches d’auteurs comme Pierre Pelot ou Jean-Pierre Andrevon, d’autres, plus délirantes, sur le thème du temps ou de la mémoire, telles « Gélatine », « Pleine Peau », « Disciple ? », « Navigation en tour close », et « Où le voyageur imprudent tente d’effacer… » larguent un peu plus les amarres et on arrive enfin aux plus étonnantes d’entre elles, d’ambiance onirique, « Les Quais d’Orgame » et « Jip et Riluk », que l’on pourrait qualifier de « psycho-fictions », expression choisie par Francis Berthelot pour qualifier son roman La Ville au fond de l’œil (roman incontournable également en quête de réédition). Une certaine mélancolie plane sur la plupart des textes où l’humain est au cœur du sujet et non pas le simple véhicule de l’action et des idées, évoquant ainsi l’ombre tutélaire de Simak, Dish ou Sturgeon.
Une excellente sélection donc, qui illustre bien le côté franc-tireur d’un des meilleurs auteurs du siècle dernier.
Un livre-document essentiel (en attendant la réédition d’Ombromanies, Le Champ du rêveur, Couples de scorpions, ou Scènes de guerre civile, le roman préféré de l’auteur), disponible uniquement par correspondance ou dans quelques librairies spécialisées, et que les centaines d’ouvrages formatés de fantasy et de bit lit’ qui s’empilent sur les présentoirs des grandes surfaces n’étoufferont donc pas.