Richard COMBALLOT, Bruno LECIGNE, Jean-Pierre HUBERT, Pierre STOLZE, Daniel WALTHER, Xavier MAUMÉJEAN, Richard CANAL, Alain DARTEVELLE, Ugo BELLAGAMBA, Laurent QUEYSSI, Jean-Pierre VERNAY, Philippe CURVAL, Johan HELIOT, Jacques BARBÉRI
BLACK COAT PRESS
252pp - 17,00 €
Critique parue en octobre 2008 dans Bifrost n° 52
L'anthologie est un art difficile dans lequel Richard Comballot s'est taillé une solide réputation ces dernières années. Les lecteurs des ouvrages parus chez Mnémos (Icares 2004, Mission Alice, Les Ombres de Peter Pan et La Machine à remonter les rêves) et ceux du recueil édité au Fleuve noir (Elric et la porte des mondes) pourront sans doute en témoigner. Dimension Philip K. Dick semble s'inscrire dans cette continuité. Pourtant, le projet est beaucoup plus ancien car, comme Richard Comballot le confie dans l'avant-propos de ce recueil, celui-ci remonte à 2002. Et puis, ce n'est pas ici une créature littéraire mais bien le créateur qui figure au cœur du projet. C'est à l'issue d'un accouchement qui s'est accompli non sans douleur que, finalement, celui-ci voit le jour chez le petit éditeur Rivière Blanche. En effet, paradoxalement, l'intérêt des éditeurs pour un recueil en forme d'hommage à Philip K. Dick a été inversement proportionnel à l'attrait que l'auteur états-unien représente désormais auprès des producteurs de cinéma. Pourtant qui peut nier, sans faire preuve d'une mauvaise foi absolue, l'influence que l'écrivain californien a eu sur bon nombre d'auteurs francophones, toutes générations confondues, comme le démontre le sommaire de cette anthologie ? Qui peut minorer l'aura qui émane toujours de son œuvre ?
Commençons par les textes les moins convaincants de l'ouvrage. Avec « Le Dieu venu du néant », Bruno Lecigne propose un texte qui se veut vif, humoristique et ultra référencé, et qui s'avère au final lourd, surchargé et aussi drôle qu'un sketch de Benny Hill. Avis aux amateurs. Ça ne s'améliore pas avec « Les Oubliettes du Haut-Château » de Daniel Walter. La nouvelle met en scène Philip K. Dick himself dans le contexte uchronique de sa seule œuvre primée : Le Maître du Haut-Château. Pour faire court, disons qu'on s'y ennuie ferme et que le texte aurait mérité de finir dans un cul de basse fosse. « Dankon-club » de Xavier Mauméjean confronte le privé Deckard à Philip K. Dick au cours d'une enquête qui fait appel à la mémétique. Au passage, on est heureux d'apprendre que cette nouvelle a servi de matrice à la novella Poids mort, car celle-ci s'avère aussi poussive que le texte paru aux éditions du Rocher. Fort heureusement, Xavier Mauméjean commet aussi une préface réjouissante (intitulée « Je pense donc je flippe »). Rédigée à la manière d'une dissertation de philosophie, elle introduit un parallèle entre l'œuvre de Dick et le philosophe Descartes. Enfin, « Malédicktion », la nouvelle de Philippe Curval, échappe de justesse au couperet. La narration est pénible et laborieuse mais le dénouement très ubikien rachète l'ensemble.
Toutefois, ces textes ne sont que quelques exceptions dans un ensemble qui brille surtout pour sa haute tenue. À ce propos, la majorité des nouvelles échappent à la tentation du pastiche obséquieux ou de l'exercice de style besogneux. En fait, on a vraiment le sentiment que les différents auteurs se sont emparés pour leur propre compte des thèmes dickiens (qu'est-ce qui définit la réalité ? qu'est-ce qui définit l'humain ?). On constate qu'ils se sont plongés avec plaisir dans la mythologie intime de Dick. Au pire, le contrat est rempli sans panache ; ici je pense à « Les Clones rêvent-ils de Dolly ? » de Richard Canal, ou à « Parce que mon nom est légion » de Jean-Pierre Vernay. Au mieux, le résultat est touchant, voire bouleversant, et l'hommage rendu à Dick empreint d'une sincérité rafraîchissante. Dans le lot, c'est sans aucun conteste le regretté Jean-Pierre Hubert qui tire le mieux son épingle du jeu. « Substance 82 » est un excellent récit dont l'ambiance paranoïaque et pimentée d'une pointe d'humour noir convient idéalement au propos. Dans un autre registre, Alain Dartevelle nous livre deux très belles nouvelles qui empruntent à la fois à la biographie de l'auteur états-unien et à son œuvre. Le dosage entre ces deux éléments est une vraie réussite. Sur un sujet géopolitique sensible (les attentats contre le World Trade Center), Claude Ecken propose, avec « Glissement de temps sur Manhattan », le récit de sa rencontre avec Dick, le 11 septembre 2001. À moins que le WTC ne soit le point focal d'une réalité fluctuante qui échappe à l'auteur lui-même… De son côté, le duo Laurent Queyssi, Ugo Bellagamba, imagine deux uchronies qui sont des réussites tant au point de vue de la justesse du ton que de la narration. Avec « 707 Hacienda way », Laurent Queyssi nous rapporte la rencontre d'un journaliste avec son idole : l'écrivain Jane Dick. Au cours de l'entretien, le fan aborde une question qui lui tient à cœur : quels sont les mécanismes qui ont présidé à l'écriture de son œuvre la plus connue, La Maîtresse du Haut-Château. Est-ce le Yi-King ? Le hasard ? Un coup de bluff ? Et si celle-ci avait été inspirée par son frère défunt : Philip ? La réponse, si elle n'est évidemment pas nette, vaut surtout pour la charge émotive qu'elle suscite. Avec « Le Syndrome de la chouette en plein jour » (dont le titre s'inspire du roman inachevé de Dick), Ugo Bellagamba imagine que l'écrivain n'est pas mort en 1982. Après une courte convalescence, celui-ci s'est retiré dans le Massif Central et a coupé tous les ponts avec le milieu de la S-F et la célébrité. Jusqu'au jour où un jeune fan, qui ressemble à un hybride de Laurent Queyssi et de Ugo Bellagamba, vient lui soumettre un projet de coécriture. La réponse imaginée est tout à fait malicieuse. Pour sa part, Johan Heliot brode avec « La Dernière valse de Philip K. Dick » un hommage qui s'inspire de Dr Bloodmoney. Une fois de plus, sa nouvelle est exemplaire pour sa sobriété et, ce qui ne gâche rien, il se permet même d'inviter en guest stars Stanislaw Lem, K.W. Jeter, Tim Powers et Harlan Ellison. Terminons enfin avec la nouvelle de Jacques Barbéri. Un texte déjanté, lu et relu dans Bifrost et le recueil L'Homme qui parlait aux araignées, mais dont on ne se lasse pas de la dinguerie.
Dimension Philip K. Dick est donc une anthologie tout à fait recommandable. Un recueil sympathique qui recèle quelques vraies pépites. Un ouvrage que l'on se doit de conseiller sur le champ à tout lecteur averti de Philip K. Dick.