Pour ses cinquante ans, le Laboratoire d’Analyse et d’architectures systèmes a choisi de présenter un recueil de nouvelles de science-fiction basé sur ses recherches en technosciences, de l’informatique à la communication, en passant par la robotique.
Les machines occupent une place de choix. Ainsi, Catherine Dufour démontre dans le très drôle « Sans Retour et sans nous », que les robots compagnons ne seraient pas seulement utiles aux personnes invalides et âgées, mais aussi aux individus désocialisés pour les aider à se reprendre en main : encore quelques réglages, et son prototype rendra bientôt Nao obsolète.
L’espace appartient déjà aux machines, comme le montre Jean-Louis Trudel avec « Semeuses d’amour en orbite instable » : moins sensibles que les humains aux rayons cosmiques, les femtosats, des satellites de très petite taille, sont plus efficaces pour coloniser la Lune et les astéroïdes. Au prix d’un désir d’indépendance ? Il reste aux deux intelligences à apprendre à coopérer…
La question de la conscience de la machine a été posée dès le départ, avec une belle ouverture d’esprit, par Xavier Mauméjean dans « La Science du cœur ». Autour d’une enquête sur un meurtre, il trace avec subtilité la frontière ténue entre intelligence biologique et artificielle.
À l’inverse, une machine consciente peut servir à mieux éprouver ce que ressent un humain. Dans « Pour le comprendre » d’Olivier Paquet, le seul membre de l’équipe à assister jusqu’au bout à la fin d’un robot qu’on voulait autonome, est son inventeur, hanté par le souvenir de son frère disparu.
Tout aussi touchant est « Changeling » de Lionel Davoust, qui met en scène un enfant solitaire fatigué de passer immuablement ses vacances chez ses grands-parents, à l’écart de tout. Surprotégé par ses parents, il se demande s’il est bien celui qu’il croit être.
Dans le récit de Mauméjean, on peut s’agréger temporairement à une intelligence collective favorisant la recherche de solutions. L’étape suivante pourrait être la télépathie. Sur ce thème, « Plénitude » de Silène Edgar, échoue à convaincre en raison de la naïveté et de la superficialité de son récit. Sa narratrice s’insurge contre la commercialisation d’un implant télépathique malgré les risques pour les 3 % de cerveaux mal constitués, ceux des psychotiques, des autistes, des génies et des surdoués. « Plus d’Einstein, de Hawking, de Turing » laisse entendre que l’humanité dépend de ces « handicaps », évacuant les débats entre inné et acquis, nature et culture.
Autour du thème de l’humain augmenté, Raphaël Granier de Cassagnac revient sur les circonstances qui ont mené Shin Hae-Wan, un des protagonistes de son roman Thinking Eternity, à réaliser la première greffe d’un œil artificiel. L’arrière-plan post-cataclysmique pourrait bien être la résultante des « Contaminations » de Sylvie Denis, excellent texte qui brosse sur trente ans la vie d’une communauté paysanne restant à l’écart du monde moderne, mais que les problèmes liés au changement climatique et aux cultures OGM à la longue inefficaces rattrapent néanmoins. Lucide, documenté, il est axé sur la nécessaire adaptation aux changements.
Le transhumanisme est, lui, frontalement abordé par Pierre Bordage avec « H+ », qui présente la progressive déshumanisation des individus augmentés ainsi que le fossé entre deux humanités.
Un article de Francis Saint-Martin situe la place de la SF par rapport aux avancées scientifiques, dissipant l’ancienne méprise voulant voir en Jules Verne et ses successeurs des prophètes plus que d’imaginatifs auteurs parlant d’avenir, tandis que dans sa postface Roland Lehoucq revient sur son rôle vis-à-vis de la science. Le tout est agrémenté d’illustrations de Barbara Quissolle.
Même si sont évoquées ici et là des dérives et des dangers, les auteurs se sont efforcés d’ouvrir des espaces de réflexion sur l’avenir des technosciences, et ses impacts selon les situations. L’anthologie, de très bonne tenue, est encore rehaussée par les commentaires en fin de récit, où les chercheurs du LAAS, avec un grand sens de la vulgarisation, font le point sur l’état actuel des recherches dans les domaines concernés. Pas d’optimisme béat ni de dénigrement pessimiste ici, mais un regard lucide et éclairé sur les technosciences. De quoi rêver et réfléchir !