Bertrand CAMPEIS, Émilie CHEVALLIER MOREUX, Jean-Claude RENAULT, Tesha GARISAKI, Fabien CLAVEL, Florie VIGNON, Thomas MILLET, Clémence GODEFROY, Sébastien CAPELLE, Zoé DANGLES, Marie CZARNECKI, Louis GASTEBOIS, Jerry OLTION, Emmanuel CHASTELLIÈRE, Sa
BLACK COAT PRESS
364pp - 26,00 €
Critique parue en avril 2019 dans Bifrost n° 94
Collectées par Bertrand Campéis, l’éminence masculine du Guide de l’uchronie réédité récemment chez ActuSF, Dimension uchronie 1 rassemble quatorze nouvelles d’auteurs divers, résultat d’un appel à textes lancé fin 2017. Des femmes et des hommes, à part égale, des écrivains expérimentés et des novices, des francophones et un Américain, un peu esseulé pour le coup. La curiosité piquée, l’amateur d’histoire alternative se dit qu’il y a peut-être matière à satisfaire sa passion pour les déviances historiques. Hélas, à trois exceptions près, le résultat apparaît au mieux quelconque, au pire médiocre Passons rapidement sur « Nouvelle Sparte » d’Émilie Chevallier Moreux, dont le texte peut se résumer à un seul terme : abscons. Les nouvelles suivantes remontent un tantinet le niveau, mais elles ne sont pas en mesure de corriger cette fâcheuse entrée en matière. « Pour l’honneur de Rome » mélange l’uchronie au voyage temporel en imaginant un monde où l’Empire romain n’existe pas. On conçoit sans peine ce que Poul Anderson, voire Pierre Barbet auraient pu faire avec un tel argument de départ. Ici, c’est juste raté. Dans une autre acception de l’Histoire, Jean-Claude Renault se serait sans doute abstenu. Pas de chance pour nous qui n’y vivons pas… Les choses ne s’arrangent guère avec « Nova Lua », même si Clémence Godefroy sait jouer de la corde sensible. Sa nouvelle se réduit à la confession d’une missionnaire issue du culte christaoiste, curieux syncrétisme de christianisme et de taoïsme né après la défaite de la papauté pendant la Querelle des Investitures et après son exil en Orient. Décidée à mourir pour sa foi, la religieuse prend fait et cause pour les esclaves d’une colonie européenne passée à la religion déorégalienne. Même si la proposition de l’autrice est originale, avouons que l’on reste quand même un tantinet sur sa faim. Dommage… Avec Florie Vignon, Sébastien Capelle, Fabien Clavel et Thomas Milleton, on oscille ensuite entre l’anecdotique et le besogneux. Heureusement, la nouvelle de Tesha Garisaki vient nous rafraîchir la mémoire. « Le Festival des dragons de Tenochtitlan » apporte en effet la preuve que le ridicule ne tue pas, et on se demande quelle idée saugrenue a pu traverser l’esprit de l’anthologiste en sélectionnant ce texte, à part peut-être la volonté de faire une mauvaise blague. « Code noir », de Pierre Léauté, calme heureusement tout net l’énervement. Passée une chronologie superflue qui fait craindre un instant le didactisme lourdaud, le récit révèle un humour grinçant de bon augure. Faire de l’idole des jeunes l’une des têtes pensantes et agissantes du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, et de Jacques Mesrine le président d’une République sociale, a de quoi réjouir les mauvais esprits. Pour le reste du sommaire, on pardonnera au chroniqueur de faire l’impasse sur les textes de Marie Czarnecki, Emmanuel Chastelière et Sara Doke, afin de consacrer plus de temps à « Projections » de Louis Gastebois. Petit plaisir pour cinéphile, la nouvelle nous immerge dans un monde où l’industrie du cinéma a dépéri au profit du petit écran. Le texte abonde en clins d’œil et allusions faisant appel à la culture cinématographique. Dans cette acception de l’Histoire, le Napoléon de Kubrick a ainsi été tourné, le nouvel Hollywood n’a jamais émergé, et George Lucas finit avec une balle dans la tête avant d’avoir pu entreprendre le tournage de Star Wars. Avec cette réflexion sur le cinéma, l’entertainment et l’art, Louis Gastebois (un émule de l’inspecteur Clouseau ?) écrit sans doute le texte le plus stimulant de l’anthologie. On en redemande, et on est récompensé par le texte de Zoé Dangles. « Celle qui glisse sur les ondes » marque effectivement l’esprit. Ici, l’uchronie évolue à la marge, comme une tache de fond, visible dans le décor d’un Cambodge techno et dynamique. Mais le cœur du récit s’attache au drame vécu par les Rohingyas, sujet à la résonance très contemporaine. Voici un texte dur, très dur, mais bien écrit, évoquant avec pudeur et acuité le silence autour du massacre d’un peuple. Reste « Alerte rouge », nouvelle de Jerry Oltion, où l’auteur américain nous rejoue la crise des fusées, façon ruse de sioux contre visages pâles. Amusant, mais pas inoubliable. Bref, alors que le titre de l’anthologie laisse présager un second volume, on se prend à demander si l’on ne va pas passer son tour. Qui sait ? Vous avez deux heures pour écrire sur ce sujet d’uchronie personnelle. Très personnelle.