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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60

[Critique commune à Djeeb l'encourseur et Blaguàparts.]

Djeeb le Chanceur fait partie des découvertes les plus enthousiasmantes de l’année passée. Premier roman pour adultes, après un Aria des brumes publié sous le pseudonyme de Don Lorenjy chez un éditeur « jeunesse » en 2008 (le regretté Le Navire en pleine ville), il introduisait un personnage particulièrement charismatique et attachant, Djeeb Scoriolis, aventurier patenté, beau-parleur infatigable et indécrottable coureur de jupons. Un héros qui, sous des dehors frivoles, révélait progressivement une complexité inattendue.

Ses péripéties se poursuivent donc dans ce deuxième roman, reprenant peu ou prou là où elles s’étaient arrêtées dans le volume précédent. On retrouve Djeeb dans une de ces fâcheuses postures dont il est coutumier, obligé de fuir, la queue entre les jambes, le lit d’une belle lorsque son mari rentre à l’improviste. Quelques péripéties plus tard, le voilà prenant part à une expédition hors des murs de Port Rubia, à la recherche d’une caravane portée disparue.

En envoyant son héros battre la campagne, Laurent Gidon donne à Djeeb l’Encourseur une tonalité assez différente du premier roman, élargissant son champ d’action et substituant aux secrets d’alcôves et aux intrigues politiques l’exploration de ce monde. Un monde dont le lecteur va être amené à s’interroger sur la nature exacte après la découverte d’un artefact dont l’existence même remet beaucoup de choses en question.

Avec Djeeb le Chanceur, le romancier avait mis au point une recette d’une belle efficacité, un mélange de comédie et de récit d’aventures s’appuyant sur un héros suffisamment fort pour que la formule puisse se décliner au fil des volumes suivants. Djeeb l’Encourseur, en introduisant toute une série de questions sur la nature de l’univers où se situe l’action, prend le risque de démolir ce cadre confortable pour ouvrir d’autres pistes et donner à cette série une toute autre tournure. Un risque qui peut être payant, à condition que les réponses ne déçoivent pas.

En attendant, malgré quelques longueurs à mi-parcours, Djeeb l’Encourseur renouvelle le plaisir de lecture procuré par le précédent volume. L’écriture de Laurent Gidon est toujours aussi joliment évocatrice, et Djeeb Scoriolis demeure un personnage dont on a envie de suivre les aventures aussi longtemps que possible.

Sous son autre identité de Don Lorenjy, Gidon a également publié cette année chez Griffe d’Encre son premier recueil de nouvelles, Blaguà-parts. Seize textes, allant de la plaisanterie de potache à des récits nettement plus ambitieux. Le ton est dans l’ensemble assez léger, et dans ses meilleurs moments évoque la belle époque du Galaxy des an-nées 50 et des auteurs com-me Robert Sheckley, Cyril M. Kornbluth ou William Tenn. Une science-fiction un peu datée dans la forme, sans doute, mais qui n’en reste pas moins, lorsqu’elle est maniée avec talent et inspiration, une lecture tout à fait réjouissante.

« Ceci est ma chair », qui ouvre le recueil, est assez représentatif du style Lorenjy. Dans un futur proche, extrapolation des pires travers de l’ultralibéralisme, un membre de la classe dirigeante découvre que, lorsque les rouages qui lui ont permis d’accéder à sa position se dérèglent, la chute est particulièrement brutale. On pleurera d’autant moins sur le sort du malheureux que l’auteur opte pour un ton ironique qui donne tout son sel à ce texte. Et on a beau avoir lu maintes et maintes fois ce type d’histoires, cette énième variante n’en est pas moins réussie pour autant.

Toutes ne fonctionnent pas aussi bien. Il arrive que Don Lorenjy se prenne les pieds dans le tapis en nous servant une nouvelle à la chute peu inspirée : « Suzanne on line » et sa bigote en contact direct avec Dieu, « Aliens vs Gladiator » et ses jeux du cirque galactiques. Mais le plus sou-vent, il s’en tire en optant pour un contexte inattendu, comme dans « L’Ambassadeur », où le premier contact avec des extraterrestres se déroule en 1919, ou « Organum » et son mode de pilotage spatial inédit qui donne à la nouvelle sa forme insolite.

D’autres fois encore, Lorenjy joue la carte du pastiche assumé et donne naissance à quelques perles particulièrement réussies : « Disapparitions » et son ambiance paranoïaque à souhait ; le psychédélique « Libéré sans délai », qui donne à voir la réalité de notre univers telle que nous n’avons jamais osé l’affronter, et surtout « La Dernière Marche », petit chef-d’œuvre de fin du monde aussi absurde que réjouissante.

En fil rouge du recueil, l’auteur nous conte les mésaventures d’un commando spatial chargé de mener à bien différentes missions. Chaque nouvelle est racontée du point de vue d’un membre différent de l’équipe, et l’on passe de la description goguenarde d’une intervention désastreuse, type « les gros cons dans l’espace », à un ultime texte beaucoup plus sombre et violent.

Blaguàparts est un recueil des plus agréables, seize nouvelles sans prétention mais pas sans talent, le genre de petites histoires qui s’insinue dans votre esprit avec l’évidence de ces mélodies que l’on se surprend à siffloter.

Philippe BOULIER

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