Josh BAZELL
JEAN-CLAUDE LATTÈS
305pp - 20,50 €
Critique parue en juillet 2010 dans Bifrost n° 59
Interne dans un hôpital, le docteur Brown est en apparence un citoyen tranquille. En apparence seulement. Dopé au Moxfane, hyperactif et consciencieux, ce médecin au physique de catcheur détonne un peu au sein de l’équipe hospitalière du Manhattan Catholic Hospital. Il fait pourtant tout son possible pour ne pas trop attirer l’attention. Car ce bon docteur a beaucoup de choses à cacher : avant de faire des études de médecine, il a été tueur à gages pour la mafia. Il se faisait alors appeler « Griffe d’ours », et au lieu de soigner les gens, il les flinguait à bout portant. Mais le docteur Brown a décidé de changer de vie. Jusqu’au jour où un nouveau patient est admis à l’hôpital : Nicholas LoBrutto — alias Eddy Squillante — un mafieux qui reconnaît immédiatement son vieil ami « Griffe d’ours ». Démasqué, rattrapé par son passé — et victime du chantage de Squillante qui menace de révéler à la mafia sa nouvelle identité ! — le docteur Brown va devoir retrouver ses vieux réflexes et sortir à nouveau ses griffes…
Docteur à tuer (Beat the reaper en VO) est le premier roman de Josh Bazell et c’est une bonne surprise. Malin, décalé et incisif, ce petit polar original a beaucoup de qualités. Narré à la première personne par Brown/« Griffe d’ours », le récit progresse vite et sans temps mort. La recette est simple, mais efficace : des chapitres ultracourts, une écriture visuelle et dynamique, et de fréquents flash-backs qui permettent au lecteur de découvrir peu à peu la personnalité complexe de ce docteur pas comme les autres. Son ascension fulgurante dans la mafia, son désir viscéral de venger l’assassinat de ses grands-parents, et sa rencontre magique avec Magdalena, le grand amour de sa vie. C’est drôle, tonique, et grave à la fois. C’est même parfois hilarant, notamment dans les passages du roman où Josh Bazell décrit avec une ironie féroce le fonctionnement interne d’un hôpital — et ses très nombreux dysfonctionnements ! Et on n’est pas surpris d’apprendre (en quatrième de couverture) qu’il est lui-même médecin, car sa vision du milieu médical sonne étonnamment juste. Est-ce qu’il a aussi été, dans une vie antérieure, tueur pour la mafia ? Peut-être pas ! Mais cette autre facette de l’intrigue est elle aussi plutôt bien ficelée, même si certaines situations font un peu trop penser à des scènes de films (Les Affranchis, de Scorcese) ou à des séries cultes (Les Sopranos…). C’est d’ailleurs le seul vrai défaut de Docteur à tuer : une intrigue qui par moments est un peu trop référentielle et donne une impression de déjà vu. Mais c’est bien l’unique reproche qu’on peut faire à Josh Bazell. Dès son premier roman, il impose un ton, un style, un humour décapant, et mélange tous ces ingrédients avec beaucoup de savoir-faire. On s’y laisse prendre et on passe un très bon moment en compagnie de ce docteur Brown. On n’a d’ailleurs pas fini d’entendre parler de lui, puisque Josh Bazell est déjà en train d’écrire la suite de ses mésaventures tragicomiques… sans parler du fait que Docteur à tuer va être prochainement adapté au cinéma, avec Leonardo Di Caprio himself dans le rôle du docteur. La grande classe ! Mais en attendant la version ciné, pourquoi ne pas découvrir la version papier : un roman teigneux, intelligent et divertissant, et l’occasion de rencontrer un écrivain/médecin étonnant qui manie les mots aussi bien que le bistouri — Josh Bazell.