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Les critiques de Bifrost

Dominion

C.J. SANSOM
BELFOND
710pp - 23,00 €

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

La Seconde Guerre mondiale, du haut de ses soixante-dix ans, demeure un sujet inépuisable pour les (pseudo ?) créateurs de ce début de XXIe siècle. L’Uchronie, de son côté, trône comme une cerise sur le gâteau de l’Imaginaire. L’honnête lecteur, quant à lui, a frémi avec le Fatherland de Robert Harris, ri avec Le Faiseur d’histoire de Stephen Fry, et douté de la réalité avec Le Maître du Haut-Château de Philip K. Dick.

C. J. Sansom est, si l’on en croît ses interventions, un honnête lecteur. Il est aussi un auteur reconnu pour ses romans historico-policiers, spécialisé en Henri VIII comme un antiquaire l’est en Voltaire, son lectorat vantant sans condition ses qualités de romancier historique, tant du point de vue du nouage d’intrigue que de celui de la documentation. Admettons donc le fait comme établi.

Etant sujet de Sa Gracieuse Majesté, on ne peut lui reprocher de mal connaître la chanson française et, plus particulièrement, le profond répertoire de notre Michel Sardou national. Erreur. S’il avait entendu ces délicieux vers : « Si les ricains n’étaient pas là / Vous seriez tous en Germany / A parler de je ne sais quoi / A saluer je ne sais qui », C. J. Sansom aurait pris conscience des écueils vers lesquels il allait voguer en se posant la question : « Et si Churchill n’avait pas été là, où serais-je ? » Pauvre homme. Faire autant de recherches documentaires, s’emballer pour entasser plus de sept cents pages d’un récit qu’on imagine aussi pénible à écrire qu’il l’est à lire, essayer de faire vivre des personnages à la fadeur insoutenable, mêlés à une histoire cousue de fil blanc pour s’apercevoir, en définitive, que le collabo anglais aurait été le jumeau du collabo français et que la résistance n’a pas de nationalité… Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, les grandes espérances finissent parfois dans le caniveau.

Le lecteur de Bifrost sera donc éclairé de ne pas céder à sa pulsion première, et compréhensible, d’acheter cette uchronie alléchante mais très décevante. Si toutefois il ne se sentait pas la force de résister, nous lui offrons un résumé intégral en quelques lignes seulement, auquel il serait avisé de repenser avant de passer à la caisse :

ATTENTION SPOILER

 Churchill est écarté du pouvoir, le Royaume-Uni capitule face aux nazis et entame une collaboration institutionnelle. Un fonctionnaire dont le mariage bat de l’aile est enrôlé dans la résistance. Un de ses copains de fac est interné après avoir défenestré son frère qui a aidé au développement de l’arme atomique chez les Américains. Les nazis ne sont pas au courant du projet Manhattan, mais se doutent de quelque chose et souhaitent interroger l’interné. Grâce au fonctionnaire, la résistance arrive à faire sortir l’interné du pays. Le secret est sauf. Grâce à son héroïsme, le fonctionnaire se rabiboche avec sa femme. L’amour est sauf.

FIN DU SPOILER

Voilà, vous savez tout. Vous pouvez maintenant acheter et lire autre chose.

Grégory DRAKE

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