Alain MORVAN, Joseph Sheridan LE FANU, John William POLIDORI, Lord BYRON, Bram STOKER, Samuel Taylor COLERIDGE, Florence MARRYAT, Robert SOUTHEY
GALLIMARD
1168pp - 69,00 €
« Les vampires entrent au panthéon (littéraire) ! » Tel aurait pu être le slogan soufflé par quelque démon potache à la vénérable « Pléiade » pour accompagner la parution de ce formidable Dracula et autres écrits vampiriques. Un volume qui couche sur papier bible aussi bien le démon de Bram Stoker que ceux de John William Polidori (Le Vampire, 1819), de Joseph Sheridan Le Fanu (Carmilla, 1872) et de Florence Marryat (Le Sang du vampire, 1897). Quatre romans auxquels s’ajoutent quelques déclinaisons poétiques du vampire : Thalaba le destructeur (1801) de Robert Southey, Le Giaour (1813) de Lord Byron, et Christabel (1816) de Samuel Tayor Coleridge. « Pléiade » oblige, l’anthologie s’appuie sur un très bel appareil critique établi par l’universitaire Alain Morvan, par ailleurs traducteur rigoureux et inspiré de la totalité des textes. L’ensemble ainsi formé s’impose comme une somme passionnante. Dracula et autres écrits vampiriques permet en effet d’embrasser les caractéristiques essentielles de la mythologie du vampire s’élaborant au xixe siècle, tout en en éclairant les raisons de sa pérennité.
Affirmant que comme le roman gothique dont elle découle, la fiction vampirique privilégie « le dépaysement géographique », Alain Morvan souligne le caractère foncièrement nomade du genre. Le voyage constitue en effet le cadre récurrent de la rencontre entre les vampires et leurs victimes. Un périple qui se révèle cependant plus fondamentalement psychique que topographique. À l’instar de Jonathan Harker n’envisageant pas les Carpates comme une contrée mais comme « le centre de quelque maelström de l’imagination » (Dracula), c’est au bout de l’imaginaire que voyagent les protagonistes du genre vampirique… ou plutôt au bout de l’inconscient. « Ce n’est […] pas une simple coïncidence si Freud est le contemporain de Stoker, de Florence Marryat et qu’il est adolescent lorsque Le Fanu publie Carmilla », avance encore Alain Morvan. Contemporaine de la genèse de la psychanalyse, la littérature vampirique ne cesse en effet de mobiliser des motifs présents chez Freud. Qu’il s’agisse de symptômes névrotiques comme le somnambulisme affectant les héroïnes de Carmilla ou de Dracula, et auquel Polidori consacra sa thèse de médecine. Ou bien qu’il s’agisse du rêve, cette voie royale d’accès aux secrets de l’inconscient selon Freud. Composante clef de la littérature vampirique, l’onirisme occupe, entre autres exemples, une place centrale dans Carmilla, où « il révèle les dérapages inquiétants de l’inconscient » (Alain Morvan).
Ainsi plongés au tréfonds de leur psyché, les personnages y découvrent un refoulé revêtant les traits du vampire. Les désirs mis à jour peuvent être d’ordre sexuel : l’homosexualité dans Christabel, Le Vampire et Carmilla, l’adultère dans Dracula et Le Sang du Vampire. Certainement érotiques, les vampires sont encore des créatures politiques et économiques. D’extraction aristocratique ou bourgeoise, les vampires révèlent la dimension prédatrice de l’exercice du pouvoir. Autant de pistes de lecture que propose Alain Morvan en puisant dans un corpus critique très contemporain, mêlant études queer, de genre ou post-coloniales.
Dracula et autres écrits vampiriques dessine ainsi avec brio l’idée que le xixe siècle a engendré le démon moderne par excellence. Celui du Malaise dans la civilisation, comme dirait un certain Freud…
P.S. : Hasard éditorial (?), Aux Forges de Vulcain réédite sa propre traduction du Vampire de Polidori, par Arnaud Guillemette. Correcte, elle est accompagnée du Comte Ruthwen ou les Vampires (1820) de Cyprien Bérard qui, se voulant une suite au Vampire, est un texte poussif à réserver aux seuls vampirophiles complétistes…