Avant d’être l’auteur de la saga du Trône de Fer, dont la suite ne cesse de se faire attendre, George R. R. Martin était déjà un auteur de tout premier plan. On avait ainsi déjà pu découvrir sous sa plume L’Agonie de la lumière, seul roman de la collection « Le Masque de l’avenir », censée concurrencer le mythique « CLA », ou Armageddon Rag, qui avait inauguré la collection « Fictions » aux Editions de la Découverte (et dont on attend une réédition prochaine chez Denoël). Pourtant, plus encore que ses romans, ce sont ses nouvelles, dont deux tomes (Chanson pour Lya et Des Astres et des ombres) avaient été publiés chez J’ai Lu, qui avaient élevé Martin au rang d’auteur phare. Des nouvelles au ton souvent fort sombre et parfois d’un romantisme échevelé. Les quatre textes réunis ici, publiés entre 1980 et 1987, datent de la même époque. Il semble malheureusement que Martin, accaparé par Le Trône de Fer, continue de délaisser la forme courte où il donne pourtant le meilleur de lui-même.
Quatre récits, donc. Deux relevant de la fantasy, et deux du fantastique. « Le Dragon de glace » avait été publié dans le numéro 28 de Bifrost, « L’Homme en forme de poire » dans le numéro 33 de cette même revue ; « Dans les contrées perdues » avait été traduite dans le numéro 4 de la défunte revue Asphodale. Enfin, « Portrait de famille », bien que lauréat du prix Nebula 1985 (novelette), était resté inédit en français ; une lacune éditoriale qu’il était plus que temps de combler.
Sous l’apparence d’une classique fantasy « avec dragon », George R. R. Martin nous offre une belle, quoique assez sombre, histoire de passage à l’âge adulte sur fond de guerre avec « Le Dragon de glace ». Adara est une fillette de sept ans. Née sous le signe de l’hiver, elle ne se sent revivre que quand revient le froid, alors que le reste du monde s’endort dans sa gangue de glace. Elle est à ce point fille de l’hiver que le mythique dragon de glace dont la venue est annonciatrice de temps difficiles lui permet de le chevaucher. La guerre tourne mal. Les forces du royaume battent en retraite tandis que les dragonniers ennemis investissent la contrée où la fillette a toujours vécu. Les épreuves de la guerre lui coûteront sa particularité hivernale, elle deviendra une fille comme tout le monde, laissant derrière elle les royaumes enchantés de l’enfance…
« Dans les contrées perdues » est une histoire de loup-garou bien ficelée mais que l’on voit venir de loin. C’est le texte le plus faible du recueil, bien qu’il reste dans la manière de Martin.
Lauréat du Bram Stoker Award, « L’Homme en forme de poire » est une histoire noire à souhait sur le rejet et l’exclusion sociale. L’homme en forme de poire est l’archétype du repoussoir, de la personne que l’on déteste et rejette presque d’instinct tant elle est à l’opposé des stéréotypes sociaux en vigueur. Si loin du « beau » que la protagoniste ne peut la percevoir que loin du « bien » ; le rejet magistralement mis en scène par Martin est si puissant qu’il en devient générateur d’un authentique malaise. Beaucoup plus fort que les deux précédents, c’est un texte remarquable où George R. R. Martin se révèle tout aussi à l’aise dans le fantastique qu’il l’est dans la SF ou la fantasy.
Autre texte fantastique, « Portrait de famille » vaut largement à lui seul l’achat de ce recueil et le rend indispensable à ceux qui auraient déjà lu les trois autres récits lors de leur parution en revue. George R. R. Martin y décline à sa manière le thème du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, comme le fera ultérieurement Jeffrey Ford avec son Portrait de Madame Charbuque. C’est aussi une réflexion non pas sur le rôle, mais sur l’inspiration de l’écrivain vampirisant son milieu, son entourage. On y voit les personnages de ses divers romans venir nuitamment lui demander des comptes sur la manière dont il les a utilisés. La dernière n’étant autre que sa fille, victime d’une agression qu’il a exploité dans son dernier best-seller, fille qui vit ce roman comme une réitération de ce qu’elle a subi, amplifié par la trahison paternelle. Cette longue et sombre nouvelle, aussi magnifique que stupéfiante, proche de la littérature générale, n’est pas sans rappeler le fantastique de Francis Berthelot ; c’est dire la qualité du texte en question…
Un recueil qui n’a rien à envier à ses prédécesseurs.