Camille BRISSOT
L'ATALANTE
192pp - 15,50 €
Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76
Valentine est une chasseuse de trésors. Des plus douées, même. Ce qui n’empêche pas le Collectionneur, un de ses employeurs fidèles, de l’empoisonner. Et ce, dès la fin du premier chapitre. Pourquoi ce meurtre ? Théophras l’ignore. Mais la puissance de l’amour qui le reliait à Valentine est grande, si grande qu’il peut encore la voir et dialoguer avec elle. Ou plutôt, avec son fantôme. Il continue donc à parcourir le monde, afin de rapporter des objets rares. Comme la femme qu’il aime (ou aimait — peut-on être amoureux d’une morte, d’un ectoplasme ?), car lui aussi chasse les trésors. Valentine et Théophras s’étaient d’ailleurs rencontrés ainsi, courant après le même objet. Sa réputation a grandi depuis les apparitions de son aimée. Il est devenu le « dresseur de fantômes ». Les gens le craignent, car ils le croient capable de dialoguer avec les morts. Mais une seule chose le préoccupe : retrouver le Collectionneur, cet assassin mystérieux au passé trouble. Et comprendre comment sa vie, leur vie, a basculé.
Cette quête mène l’étrange couple à travers le monde. Un monde bien différent du nôtre suite à quantité de catastrophes climatiques fatales à l’équilibre des sociétés modernes. Les cités flottantes, vastes hymnes au progrès et à la science, se sont vidées de leurs habitants. Les moyens de transport ont connu un recul phénoménal : adieu les avions. On voyage désormais en trains, en bateaux, en dirigeables. Tout prend une tonalité XIXe siècle, légèrement mécanisé, un brin steampunk. L’univers dépeint par Camille Brissot est d’une grande richesse. Une des forces de ce roman, assurément, à l’ambiance mosaïque composée d’une multitude d’éléments piochés à droite à gauche : un peu du Robert Louis Stevenson de L’Ile au trésor ; une troupe de cirques se déplaçant en dirigeables ; un séjour dans le Nouveau monde. Mis bout à bout, tout cela forme un patchwork très convaincant. Mais cet atout se révèle aussi, hélas, une des faiblesses de Dresseur de fantômes. Car tout cela n’est que survolé, ce qui ne surprend guère au regard de la taille (moins de deux cents pages) de ce roman. Est-ce parce que Camille Brissot a écrit jusqu’ici des romans pour la jeunesse, secteur où l’arrière-plan a tendance à être moins développé au profit de l’action ?
Ce point noir n’entache toutefois que peu un récit vif, sans temps mort, dépaysant et en même temps familier. Valentine et Théophras croisent des personnages bien croqués, en particulier le jeune Tom, enfant battu par son père, dont le seul espoir est de s’embarquer sur un navire. Mais aussi le capitaine Grégory Peck (sic), qui veille sur le jeune couple, sans oublier le méchant de l’histoire, bien sûr, le Collectionneur aux sombres mobiles.
Enfin, ce roman interroge, de façon parfois grave mais jamais pesante, sur la force de l’amour : peut-il survivre à la mort ? Eros peut-il vaincre Thanatos ? Un combat maintes fois narré, décrit une fois de plus, mais avec fraîcheur et conviction. Bien que publié dans la collection « La Dentelle du Cygne » plutôt que dans « Le Maedre », et ce sous une couverture proprement hideuse, Dresseur de fantômes se range plutôt dans la catégorie des romans destinés à un assez jeune public. Mais il n’en fait pas moins naître un souhait : que Camille Brissot franchisse le pas, qu’elle n’hésite pas à laisser ses idées s’épanouir et qu’elle continue à enchanter ses lecteurs avec un souffle plus affirmé au sein de récits où ses personnages pourront vivre plus longtemps — et nourrir notre âme d’enfant.