Troisième roman de l’anglais fou Neal Asher publié par chez nous après L’Ecorcheur et Voyageurs, mais second titre du cycle Polity — l’univers ultra futuriste dudit anglais fou (après L’Ecorcheur) —, Drone, dans la droite ligne des deux titres précités, ne fait pas dans la dentelle, ou alors une dentelle tricotée à la sulfateuse calibre mammouth, façon puzzle… Ainsi, après le planet opera débridé et sanglant (L’Ecorcheur), après le voyage temporel barzingue sur fond de guerre galactique mitonné sauce Terminator (Voyageurs), voici le space op’ militaire de gauche (si si) mâtiné de Memento, quelque chose à mi chemin entre Etoiles, garde à vous ! (revu par Paul Verhoeven), Le Vieil homme et la guerre de John Scalzi, voire La Guerre éternelle de Joe Haldeman, le tout soutenu par une écriture certes minimaliste, mais une aptitude au rentre-dedans et à la tripaille à tous les étages assez peu commune. Neal Asher ça dépote, c’est pas du Mickey, ça arrache son slip à mémé. Tout ça en même temps, et plus si affinité. Bref, le prototype du livre qui nous rappelle pourquoi on aime la S-F, ou en tous cas qu’on l’aime aussi pour ça, même si ça nous fout un peu la honte.
Ian Cormac est fils et frère de soldats, aussi sera-t-il soldat lui-même, histoire d’aller à son tour casser du Prador, ces saloperies de crabes géants qui élèvent les humains en batterie à l’échelle de planètes entières pour, au choix, les bouloter à l’apéro ou en faire des machines à tuer décervelées (une mutation sans doute facile à mettre en œuvre, diront les mauvaises langues). On suit donc, sur deux lignes narratives distinctes, Cormac jeune, vivant avec sa mère archéologue et croisant un frère aîné condamné à se faire effacer les souvenir tant ce qu’il a vu sur le front est insupportable, et Cormac moins jeune, devenu soldat, et bientôt soldat d’élite, qui va découvrir au fil du temps combien son passé n’est pas aussi lisse qu’il y paraît, un passé qui ne va pas tarder à lui exploser en pleine poire par l’entremise d’un drone de guerre intelligent aux allures de scorpion géant (oui, celui de la couverture).
On l’a dit, Neal Asher brasse du lourd, y compris en termes d’influences (ici, outre les précités un peu plus haut, on pourrait évoquer Iain M. Banks). Et si la science-fiction s’avère bel et bien une littérature de strates ou chaque auteur peut (doit ?) puiser dans le sédiment culturel de ses prédécesseurs, Neal Asher ratisse large et synthétise à tout va. Mais avec talent. Et pas que. Ainsi, à l’instar de Banks (encore lui) ou même, dans un autre registre, de Peter Watts (auquel il rend d’ailleurs ici un hommage appuyé en guise de clin d’œil), Asher se livre mine de rien à une déconstruction habile du domaine au fil de ses romans, conférant de fait une vigueur nouvelle à nombres de tropes éculés. Habile, le Neal Asher, on l’a dit, et aussi d’une efficacité redoutable, même si tout n’est pas toujours ici d’une cohérence imperméable. On ajoutera enfin que le présent Drone, en révélant les origines du personnage central du cycle du Polity, s’avère une introduction parfaite à l’œuvre de l’auteur, et on aura compris qu’il serait dommage de se priver de cette série B haut de gamme comme la S-F en produit finalement trop peu.