Yūsuke KISHI
ROBERT LAFFONT
312pp - 22,00 €
Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115
Yûsuke Kishi connaît actuellement son heure de gloire en France. Après les thrillers La Leçon du mal (2023) et La Maison noire (cette année), tous deux chez Belfond, place au versant SF de l’œuvre de l’auteur japonais. Du nouveau monde est un titre divisé en deux tomes. Dans ce premier volume, l’auteur met en place le monde qu’il a imaginé : longtemps après notre ère, la société semble apaisée. Les relations entre les individus ne connaissent pas la violence ; comme chez les bonobos, les tensions sont résolues par la douceur. De plus, chaque individu possède un pouvoir psychique puissant, le jyuryoku. Les enfants sont éduqués et préparés à le voir éclore et à tenir leur place dans cette société. Saki est née et vit à Kamisu 66. Le roman suit sa jeunesse et sa découverte de sa ville, ou plutôt de son regroupement de villages. Et surtout de ses limites. Car sortir de ce périmètre est interdit. En effet, autant l’intérieur est empli de plantes et d’animaux qui vivent en parfaite harmonie avec les humains, autant l’extérieur est habité par des créatures dangereuses, mortelles. La cité s’en prémunit à l’aide du Cordon sacré qui interdit tout passage de monstres ou autres ennemis potentiels. Mais la jeunesse a besoin de se confronter aux interdits. Et Saki et ses amis flirtent avec les frontières, à leurs risques et périls — pour eux comme pour les autres habitants de Kamisu 66.
Pour qui est familier des récits fantastiques japonais, Du nouveau monde ne sera pas une surprise. Yûsuke Kishi en respecte les codes et sait instiller progressivement les motifs qui vont aller s’amplifiant. Le malaise pointe dans ce qui ressemble de prime abord à un monde parfait. On comprend peu à peu que le conditionnement dont sont victimes les enfants les empêche de voir la réalité de ce qui les entoure. Le petit groupe, dont les rapports sociaux s’affirment avec le temps, connaît les étapes classiques : querelles qui s’enveniment, amours naissantes, mise sur un piédestal de certains, humiliations d’autres. Yûsuke Kishi s’y entend pour mettre en évidence les relations balbutiantes entre jeunes gens et leur évolution. Jusqu’à ce que, bien entendu, l’équilibre en place ne vole soudain en éclats — un procédé de narration classique, à l’image du récit dans son ensemble.
Du nouveau monde et son habituel cocktail de magie, de monstres, de combats violents et de sentiments exacerbés, offre un agréable moment de lecture. Mais ce roman ne va pas bouleverser le monde de la SF — comme le manga et l’animé qui en ont été tirés, d’ailleurs. Peut-être le second tome se montrera-t-il plus incisif ? Si on peut le souhaiter, on peut aussi en douter.