Après une Reconquista victorieuse, l’Espagne est redevenue entièrement catholique. Situé au cœur d’un empire où le soleil ne se couche jamais, le pays est désormais livré à l’Inquisition par une monarchie Habsbourg toujours « plus ultra », conformément à la devise de Charles Quint. Enfants de l’Al-Andalus, Sinan et sa jumelle Rufaida sont réduits à vivre dans le souvenir de la grandeur musulmane, sous la férule d’un père tyrannique nourrissant le secret espoir de briser le joug que les vieux Chrétiens font peser sur les Marranes et les Morisques. Poussés à la compétition par leur géniteur, les deux adolescents sont finalement envoyés à Montpellier pour étudier la médecine. Ils sont surtout chargés par leur père de retrouver la pierre d’Al-Geuzahar, ingrédient essentiel d’une magie puissante et féroce, clé de voûte de la victoire sur les Catholiques. Mais le royaume de France est lui-même la proie d’un désordre grandissant, celui de la Réforme. Les guerres de religion grondent jusqu’aux portes de la cité du Languedoc, menaçant de tout emporter.
À sa manière simple et toujours à hauteur d’homme, Jean-Laurent Del Socorro renoue avec l’univers de Royaume de vent et de colères ou de La Guerre des trois rois, et l’on est bien content de ce retour. On retrouve en effet avec plaisir le goût de l’auteur pour l’histoire, plus précisément ici le xvie siècle européen. En proie aux tiraillements divergents de l’humanisme et de l’intolérance religieuse, l’époque n’est guère favorable aux parias, boucs émissaires idéaux pour tous les fanatiques. Entre Andalousie et Languedoc, Inquisition et guerre civile, Jean-Laurent Del Socorro trace l’itinéraire tragique d’un frère et de sa sœur, abordant les sujets plus intimes de l’homosexualité, de l’inceste et de la foi. Il ne néglige pas pour autant la camaraderie, la fraternité, voire la sororité, et de manière plus générale la tolérance, jalonnant son récit de vers de Ronsard ou de du Bellay, histoire de rappeler que le xvie ne se réduit pas à des tueries haineuses. Sur fond de Grande Histoire, celle que l’on connaît et dont il s’amuse à subvertir le déroulement par petites touches discrètes de fantasy, on croise des figures connues, monarques européens enferrés dans leurs querelles dynastiques, astrologue féru d’horoscopes dont les arcanes font encore office de prédictions de nos jours chez les esprits simples, mais aussi des gens de peu dont on a oublié jusqu’à l’existence. Le récit est ainsi semblable à un creuset où se déploie l’alchimie de l’imaginaire et de l’histoire, pour le plus grand bonheur de l’amateur de récits sensibles et tragiques.
Du roi je serai l’assassin renoue et prolonge donc avec bonheur l’univers de Jean-Laurent Del Socorro, même si l’ellipse finale peut paraître un tantinet précipitée. En dépit de ce léger bémol, nulle déception n’est à craindre, bien au contraire, le nouvel opus de l’auteur français apparaît même comme un roman fort honorable.
LERMITE