Chris VUKLISEVIC
DENOËL
448pp - 21,00 €
Critique parue en juillet 2023 dans Bifrost n° 111
On avait découvert Chris Vuklisevic à l’occasion de son premier roman, Derniers jours d’un monde oublié, paru en Folio « SF » à l’issue d’un concours pour fêter les vingt ans de la collection. Un récit de fantasy prometteur à défaut d’emporter totalement l’adhésion (cf. notre 103e livraison). Deux ans après, c’est en grand format que l’autrice nous revient, en « Lunes d’Encre », avec Du thé pour les fantômes.
On dit qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture : si celle du présent roman évoque volontiers un récit gothique à l’anglaise, qu’on imagine alourdi d’une préciosité toute victorienne, il n’en sera rien ou si peu, au bout du compte, car nous voici… à Nice. Attention, pas la Nice ensoleillée de la Promenade des Anglais, des touristes, mais une Nice volontiers pluvieuse où, au détour d’une ruelle, on peut trouver une boutique proposant des étranges-thés. Pour peu qu’on le fasse causer, son tenancier vous parlera volontiers des légendes de la région. Comme celle qui entoure Bégoumas, village situé non loin du mont Bégo, dans le massif du Mercantour, et abandonné soudainement par ses habitants une nuit de 1956. C’est dans ce même village qu’une certaine Carmine a donné naissance, en 1940, dans des circonstances étranges, à deux jumelles : Félicité et Agonie, vite renommée Egonia. La première a les cheveux qui blanchissent trop vite ; de la bouche de la seconde sortent des papillons ayant la fâcheuse propriété d’accélérer le vieillissement de tout ce qu’ils touchent. Adolescentes, les deux sœurs se brouillent. Les années passent et Félicité devient passeuse de fantômes : à l’aide de ses thés, elle console les vivants et aide les spectres à trouver le repos ; Egonia, elle, vit recluse, considérée par tous comme une sorcière. C’est le décès soudain de leur mère en plein cœur des années 80 qui va les rapprocher, et les mener dans une longue quête sur les rives de la Méditerranée pour comprendre qui était véritablement cette Carmine, qui, de toute évidence, avait plus d’un secret.
Quelque part entre le fantastique, le réalisme magique et un merveilleux sombre, Chris Vuklisevic nous invite, au fil des pages, à la rencontre de nombreux fantômes, pas toujours disposés à partir, d’une association de liseurs de tombes, ou encore de bibliothécaires théilogues, évoquant au passage la manière d’apprivoiser une théière ou la nature des outrenoms, dans un arrière-pays niçois peuplé de gens et de plantes étranges et prenant des allures à mille lieues des clichés. Cela fait beaucoup, peut-être un tout petit peu trop… mais l’autrice mène sa barque avec une adresse certaine, alternant les registres : l’oralité de nombreux chapitres amènera illico à l’oreille l’accent chantant du Sud, mais on sera en droit de rester plus dubitatif devant les (looongs) passages en vers libres. Il n’empêche, au bout du compte, Du thé pour les fantômes emporte l’adhésion et représente une belle confirmation pour l’autrice.