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Les critiques de Bifrost

Échopraxie

Peter WATTS
FLEUVE NOIR
400pp - 22,50 €

Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80

Daniel Brück est un « souche ». Autrement dit, un fossile sur une planète où l’Homo sapiens s’éteint peu à peu au profit d’une posthumanité génétiquement et technologiquement améliorée. Vivant à l’écart du monde, il collecte des échantillons de vie sauvage dans le désert de l’Oregon, pour oublier sa responsabilité indirecte dans une catastrophe médicale majeure. Une tâche aussi vaine qu’inutile au sein d’une écologie où ne subsiste pas un seul brin d’ADN indemne de toute pollution génétique. De manière fortuite, il se retrouve plongé au milieu d’un conflit entre une vampire et des moines ayant recâblé leur cerveau pour atteindre, par la transe mystique et l’interconnexion, un niveau supérieur de connaissance. Le voilà embarqué dans un long voyage vers Icare, la station solaire pourvoyeuse d’énergie, en compagnie d’un pilote obsédé par la vengeance, un militaire en deuil et une ribambelle de monstres, humains zombifiés, esprit de ruche et vampire, à la rencontre d’une entité extraterrestre qui pourrait bien constituer la menace ultime pour l’humanité.

Echopraxie renoue avec l’univers de Vision aveugle. Quinze années après l’expédition du Thésée, Peter Watts reprend les mêmes recettes pour broder un huis clos paranoïaque, entrelardé de spéculations vertigineuses, exposées parfois de manière trop didactique. Et, une nouvelle fois, le résultat se montre époustouflant, même si l’écriture aride ne facilite pas l’accès à ce futur étrange et complexe. L’auteur canadien pousse au renversement des paradigmes. Il passe les concepts d’identité, de conscience, d’intelligence à la moulinette des neurosciences, multipliant les hypothèses et les théories hardies. Sous sa plume, le libre-arbitre devient une illusion, Dieu un virus et l’univers une simulation livrée à elle-même. Ses nombreuses spéculations fournissent matière à réflexion et discussion, enrichissant l’esprit d’idées et d’images stimulantes.

Mais, si le futur de Peter Watts se montre fertile en théories ébouriffantes, il n’a cependant pas l’apparence d’une douce utopie. C’est un monde malade, en phase terminale, en proie à un chaos total où la science n’est finalement qu’une forme de foi plus efficace, et où le salut de l’humain passe par une nécessaire adaptation, quitte à abandonner sa façon de penser.

Ardu, fascinant, intelligent, Echopraxie se conquiert de haute lutte, parfois au détriment du simple plaisir de lecture. Mais l’effort en vaut la chandelle. Assurément.

Laurent LELEU

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