Vous ne l’avez sans doute pas su, mais ces satanés hippies ont pris le pouvoir dans les trois États de l’Ouest, imposant une sécession douloureuse aux États-Unis. Vingt années après cet événement traumatique, vers l’an 2000, l’Écotopia ouvre pour la première fois ses portes à un journaliste américain, William Weston. Pour cet envoyé du grand quotidien le Times-Post, ce nouveau pays apparaît à la fois comme une source de curiosité et de rancune. Son reportage est donc un bon moyen de combattre les préjugés, y compris les siens, afin d’établir la vérité sur les choix adoptés par les Écotopiens.
Écotopia reprend une formule littéraire ancienne, celle de l’utopie. Paru dans nos contrées en 1978 chez Stock, sous le titre de Écotopie, la fiction utopique d’Ernest Callenbach bénéficie d’une nouvelle traduction publiée chez Rue de l’Échiquier pour inaugurer la collection « Fiction » de l’éditeur. Une réédition bienvenue, offrant l’opportunité de découvrir un ouvrage relevant ouvertement de l’écologie politique, un OLNI de 1975, devenu rare sur le marché de l’occasion, et dont le propos se révèle plus que jamais d’actualité. Très honnêtement, c’est surtout cet aspect de Écotopia qui retient l’attention, comme un écho funeste aux inquiétudes et aux catastrophes de notre époque. Le dispositif narratif et l’écriture sont en effet d’une lourdeur et d’un didactisme bien décourageants. Ernest Callenbach mêle les articles publiés par le Times-Post aux extraits du journal personnel de Weston, témoignant de l’évolution du regard du journaliste sur l’utopie écologiste ouest-américaine. Le compte-rendu informatif côtoie ainsi le quotidien vécu, pendant que le devoir d’objectivité se frotte au ressenti intime du simple citoyen. Pour le lecteur d’aujourd’hui, quel intérêt à découvrir un ouvrage de plus de quarante ans, de surcroît fastidieux à lire malgré la nouvelle et excellente traduction ? Peut-être pour (re)découvrir un pan non négligeable de la contre-culture américaine, où l’on imaginait autre chose, histoire de rompre avec les sirènes de l’« American Way of Life ». Les problématiques soulevées par Ernest Callenbach et les réponses qu’elles obtiennent en Écotopia puisent en effet leur source dans l’écologie politique et radicale. Les solutions mises en œuvre par les Écotopiens démontrent qu’un autre monde est possible, mais elles appellent à une redéfinition complète des modes de vie, de consommation, de production et de gouvernance. Un renversement total de paradigme, sans doute un peu rude à digérer pour des populations profitant des bienfaits à court terme de la croissance. Écotopia est en effet une utopie écologiste fondée sur les principes de la décroissance économique et démographique. Les Écotopiens cherchent avant tout à réduire leur empreinte écologique pour aboutir à un état d’équilibre. Ils prônent le rejet du productivisme, du consumérisme, de l’individualisme et du capitalisme. Bref, les fondamentaux de la société industrielle. À la place, ils défendent l’idée d’une exploitation raisonnée des ressources, où prévaut le recyclage intégral. Ils pratiquent l’amour libre, tout en affichant leur préférence pour la vie en communauté, non sans éviter l’écueil du communautarisme. Chacun de ses membres a voix au chapitre, dans la plus élémentaire égalité, y compris des sexes, pouvant éliminer ses frustrations au cours de simulacres de guerre. Les Écotopiens développent enfin une économie de la parcimonie, où chacun bénéficie de garanties pour vivre décemment, ne rejetant pas la technologie lorsqu’elle sert leurs desseins, mais n’hésitant pas à user de la coercition pour mener leur projet à terme.
Ainsi, entre essai théorique, manifeste politique et fiction romancée, Ernest Callenbach dessine le portrait d’une société où l’utopie se mue en objectif désirable, car porteur d’un projet d’avenir optimiste. Et, même si Écotopia échoue sur le terrain de la littérature et du romanesque, l’ouvrage se montre visionnaire sur de nombreux points qui donnent à réfléchir à la lumière de la situation présente de notre monde.