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Les critiques de Bifrost

Ecstasy

Ryû MURAKAMI
PHILIPPE PICQUIER
378pp - 8,60 €

Critique parue en octobre 2003 dans Bifrost n° 32

C'est en rencontrant à New York un SDF d'origine japonaise du nom de Yasaki que Miyashita va passer de l'autre côté du miroir et pénétrer, plus ou moins à l'insu de son plein gré, dans une jeu de rôles grandeur nature ; une partie obscure à laquelle participent trois joueurs professionnels : Yasaki ; Keiko Kataoka, une maîtresse de cérémonie sado-masochiste ; et Reiko, une actrice résidant à Paris qui fut l'esclave sexuelle de Yasaki quand celui-ci était encore un richissime réalisateur de comédies musicales. Au fil de son voyage au bout de la nuit, Miyashita va découvrir un monde réservé aux riches, un monde où la sexualité ne se conçoit pas uniquement en terme de rapports sexuels, mais où interviennent aussi la honte, les désirs contre-nature, la violence, la frustration sexuelle poussée à son paroxysme et la drogue bien entendu, la plus excitante de toutes : l'ecstasy.

Ecstasy (écrit en 1993) est à ce jour le livre le plus pornographique de Murakami Ryû. Le milieu insolite dans lequel l'auteur fait pénétrer ses lecteurs est décrit avec une précision impressionnante, presque toujours complaisante (on sent qu'il y a une véritable volonté jusqu'au-boutiste dans chacune des scènes décrites, chaque dialogue ; comme si Murakami Ryû jouait avec les pulsions voyeuristes de ses lecteurs et tentait de les mener au-delà de leurs limites, ce qui fonctionne très bien puisqu'on a pas envie de lâcher le livre avant de savoir où tout cela mène). Rien ne nous est épargné : lavements, viols, bondage, fascination pour le nazisme et ses icônes ; comme dans Salo ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, les excréments jouent un rôle central dans l'univers fantasmatique des trois principaux protagonistes. Au fil de son récit qui ressemble à un piège élaboré avec patience, Murakami Ryû ne fait aucune concession. Et au final, le passage où la pauvre Mei est purement et simplement poussée au suicide est terrifiant, éprouvant, surtout quand les joueurs se demandent, étonnés : « Mais pourquoi s'est-elle suicidée ? Tout ça n'est qu'un jeu. »

Ecstasy est le premier volet d'une trilogie qui, si on en croit le quatrième de couverture, se poursuivra avec Melancholia (disponible au moment ou vous lisez ces lignes) et Thanatos, dont les parutions sont prévues pour 2003 et 2004. Il est étonnant de voir à quel point cette œuvre, pour le moment inachevée, fonctionne en quelque sorte comme une œuvre de fantasy : il y a un jeune homme un peu naïf à qui l'on confie une quête, des magiciens (ici Yasaki et Keiko Kataoka), une forme de magie (le sadomasochisme associé à la prise de drogue), un monde secret (celui des palaces à 2000 dollars la nuit), des énigmes, des épreuves à accomplir pour progresser dans la quête, etc. Il y même un grand méchant qui guette : le risque permanent de mourir en faisant une surdose ou un arrêt cardiaque. Et d'autres « forces du mal », plus fugaces, comme la police, les journalistes…

Avec ce livre tour de force (Ecstasy est construit autour d'un dialogue entre Miyashita et Keiko qui fait près de 150 pages), Murakami Ryu frappe de nouveau très fort ; on attend la suite, si ce n'est avec impatience, du moins avec une certaine curiosité (malsaine, évidemment). Reiko, Yasaki et Keiko n'ont pas fini de livrer leurs secrets, Miyashita en a fait les frais, et la partie continue.

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