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Les critiques de Bifrost

Éden

Éden

Stanislas LEM
MARABOUT - GERARD

Bifrost n° 104

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Suite à une erreur de manœuvre, une fusée s’écrase sur Éden, le monde qu’elle était venue explorer. L’engin, désormais planté dans le sol planétaire, est fort détérioré mais ses six membres d’équipage sont indemnes. Docteur, coordinateur, physicien, chimiste, cybernéticien, ingénieur : tous ne seront jamais désignés que par leur fonction. Cette façon de procéder semble profondément empreinte de socialisme : l’individu, caractérisé par un nom qui le singularise entre tous, est passé par profits et pertes et se voit ici restreint à sa seule identité professionnelle et fonctionnelle. Parfois un prénom se glisse dans les dialogues, mais jamais au fil de la narration. Pour les lecteurs de ce côté-ci du Rideau de Fer, ce procédé manifeste la plus indéniable étrangeté. On pourrait croire qu’au sein d’un équipage aussi restreint, les fonctions soient bien définies alors que ce n’est pas clair du tout, rendant les personnages interchangeables. Psychologiquement, les caractères ne sont pas plus marqués, comme si chacun des six cosmonautes n’était qu’un reflet des autres.

Le cadre de ce planet opera, éden, n’est nullement en reste en matière d’étrangeté. Est-ce une flore ou une faune qu’ils découvrent ? Quant aux éléments de civilisation auxquels les explorateurs se voient confrontés, ils les laissent bien plus dubitatifs encore. On s’étonnera qu’il n’y ait ni biologiste ni sociologue dans l’équipe, mais si leur mission reste d’explorer et de comprendre éden, ils doivent néanmoins faire face à leur situation de naufragés.

On trouvera au fil du roman maintes tournures de phrases étranges donnant à penser que les traducteurs n’ont peut-être pas le français pour langue maternelle, mais on ne saurait tout leur imputer. Lem dit et ne montre point, faisant fi du show, don’t tell. L’auteur ne nous permet pas de visualiser l’action, se révèle avare de métaphores ainsi que de comparaisons alors qu’il est particulièrement prolixe en descriptions. Un choix narratif malheureux. Qui est certainement à l’origine de son désamour avec la SF anglo-saxonne au sein de laquelle Dick seul ou presque trouvait grâce à ses yeux – parce que l’un des procédés caractéristiques de la SF dickienne est la réification des métaphores. Bien sûr, les personnages sont ici des scientifiques, ou des techniciens, et s’ils devaient effectivement publier dans une revue à comité de lecture, les figures de style n’y auraient pas leur place. Mais Lem semble avoir perdu de vue qu’il écrivait un roman. Plus la science veut se vulgariser, plus elle doit recourir aux tropes, aux images, faire littérature, afin que le public ciblé élargi puisse s’édifier une représentation mentale. Pire encore, Lem procède de même lorsque son propos s’avance sur les terrains politiques ou philosophiques.

En conséquence de quoi, la lecture d’Eden n’a rien d’agréable. On est en permanence à côté. Reste une curiosité littéraire toute empreinte d’étrangeté. Juste pour (ne pas) voir.

Jean-Pierre LION

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