Ce court roman japonais a pour titre original All you need is kill, mais reprend pour son édition française — dans la grande tradition de Blade Runner — le titre de son adaptation cinématographique. Oublions à la lecture l’affiche qui sert de couverture, parce que le personnage principal n’est plus tout à fait le même que dans le film. Le soldat de première classe Keiji Kiriya doit livrer son premier combat contre les Mimics, ces extraterrestres en passe de réussir leur lente colonisation de la Terre. Sans aucune expérience, terrorisé, il parvient tout de même à en tuer un avant de mourir. A sa grande surprise, il se réveille la veille, prêt à vivre une fois de plus la journée de brimades qui précède la bataille. Tout peut alors recommencer, jusqu’à sa mort, encore et encore. Bien sûr, nous pensons à Starship Troopers, à La Guerre éternelle et à Un jour sans fin. Ce serait une erreur de s’arrêter à ces références. Comme l’explique la postface de l’auteur, et nous n’en dirons pas plus, c’est plutôt du côté des jeux vidéo qu’il faut porter son attention, avec le principe des vies consommées par les joueurs pour acquérir les compétences et automatismes nécessaires pour terminer un niveau.
Tel est ce que veut accomplir Keiji : devenir un meilleur soldat, peut-être aussi bon que l’Américaine Rita Vrataski (la Full Metal Bitch !), et sortir enfin de cette boucle temporelle infernale. Pour cela, il doit comprendre le fonctionnement de la boucle, ses règles et contraintes. Le tout avec beaucoup de sang, de souffrances et de destructions. L’intérêt du roman vient en grande partie du point de vue interne adopté. Tout d’abord, le jeune Keiji devient progressivement une machine à tuer, perdant des bribes de son humanité sans qu’il s’en rende compte à mesure que les jours se répètent et que ceux qui l’entourent meurent sans cesse. Ensuite, le roman suivra le point de vue d’un autre personnage, permettant de raconter de nouveau des scènes antérieures, parfois à plusieurs reprises, boucle temporelle oblige. Le tout bien évidemment sur un rythme trépidant. La brièveté du texte est pleinement exploitée afin d’en condenser systématiquement tous les effets. L’action est vive et violente, les interactions entre les personnages limitées, pour tendre vers une efficacité du récit acérée comme une lame, jusqu’à une fin particulièrement satisfaisante.
Si on peut regretter que l’édition française n’offre pas les illustrations de l’édition japonaise, il est possible de se prendre au jeu des variantes et variations en explorant les deux tomes du manga dessiné par Takeshi Obata et scénarisé par Ryosuke Takeuchi (édités également en français chez Kazé), plus expressif dans son traitement de l’histoire, et du — remarquable — film de Doug Liman, avec Tom Cruise. Les choix de transpositions, les trahisons comme les améliorations, permettent de s’interroger avec plaisir sur le travail même de l’adaptation, permettant de pousser plus avant la lecture.